Esther Crauser Delbourg
Share this article

Présente à la conférence des Nations Unies qui s'est tenue en mars 2023 sur le thème de l'eau, Esther Crauser-Delbourg, économiste de l'environnement spécialisée dans les questions de ressources en eau, répond à Normandie pour la Paix sur les différents enjeux de cette ressource précieuse pour l'humanité.

Forum Mondial

Pourquoi l’eau est-elle source de conflits entre les pays ?

Esther Crauser-Delbourg : L’eau est avant tout un bien primaire, on en a besoin pour survivre. Près de 20% de l'eau dans le monde est utilisé pour la consommation personnelle quotidienne, boire, se laver, cuisiner, etc. 80% du reste de cette eau est utilisé comme matière première économique, par l'industrie et par l'agriculture.  Or nous savons que l'eau est une denrée précieuse, que le changement climatique aggrave non seulement les pénuries et les problèmes de pollution dans le monde, mais qu'en plus nous avons tellement utilisé d'eau dans les centaines dernières années que nous en avons de moins en moins. Dans ces conditions, cette eau devient forcément de plus en plus précieuse et, quand elle vient à manquer, elle devient source de tensions entre utilisateurs, entre régions voire entre pays.

Que retenez-vous de la conférence des Nations Unies sur l’eau des 22 et 23 mars dernier ?

Esther Crauser-Delbourg : C’est la première fois depuis les années 70 qu’une conférence des Nations Unies est entièrement dédiée à l'eau. Cette conférence était différente d’une COP où les États s’engagent au préalable sur un certain nombre de régulations et de lois à passer entre eux. Dans le cas de l’ONU, l’objectif était de réunir un maximum d’acteurs de l’eau de tous horizons (entreprises, ONG, Etats, universités) qui ont formulé près de 700 engagements volontaires.  Il va leur appartenir de contrôler le respect ou non de ces engagements, de décider du champ d'application, de la durée, etc.  Cette conférence a remis l'eau sur les agendas politiques, économiques, culturels et sociaux, et on peut espérer que l'eau devienne un sujet en lui-même pour les prochaines COP.

Esther Crauser-DelbourgOn peut retirer plusieurs enjeux de cette conférence.
Le premier enjeu, c’est qu’il faut collaborer entre le public, le privé et la société civile pour une meilleure gestion concertée de la ressource. Mais il faut également financer l'eau, c’est le deuxième enjeu. 90% des enjeux du changement climatique sont liés à l'eau mais seulement 3% du financement climatique lui est vraiment destiné. Il y a un enjeu majeur de trouver cet argent, comme on l'a fait pour le carbone, auprès des grandes entreprises et des grandes banques notamment.  
Le troisième enjeu c'est qu'il faut absolument régler les problèmes d'injustice sociale liés à l'accès à l'eau.  Ce n'est pas normal aujourd'hui de constater que des millions de gens n’ont pas accès à de l’eau potable quotidienne alors qu’une grande partie de l’eau est captée par l’industrie ou l’agriculture. Dans les régions du monde concernées, il faut revoir l’allocation de la ressource et s’assurer qu’elle soit utilisée au mieux.
Le dernier enjeu de cette conférence consiste à mettre l'accent sur l'éducation. Il faut que notre génération et les suivantes soient sensibilisées au problème de l'eau. En France, nous avons souvent considéré que l’eau était un bien infini parce qu’elle sortait directement du robinet ; or nous devons maintenant voir que derrière cette eau, il y a des écosystèmes, des populations et des économies entières qui reposent dessus et qui se retrouvent en compétition lorsqu’elle vient à manquer. Nous utilisons 150 litres d’eau par jour pour nos besoins domestiques, mais en réalité nous “mangeons” près de 3000 litres d’eau quotidiennement et nos habits en contiennent tout autant. Nous n’avons pas assez conscience des chiffres vertigineux de l’eau quand il s’agit de l’eau invisible, cette fameuse “eau virtuelle” qui est essentielle pour produire l’ensemble de nos biens matériels et alimentaires.

Une gouvernance et une régulation du carbone ont été mises en place face aux changements climatiques, faut-il faire la même chose avec l’eau ?

Esther Crauser-Delbourg : La bonne nouvelle c'est que le changement climatique a pris beaucoup d’emphase dans les politiques économiques et publiques ces dernières années, parce qu’on a compris ce qu’était le CO2 et ses émissions.  Nous sommes en capacité de mesurer l'empreinte carbone et donc de mettre en place tout un système pour le mesurer, se l’échanger, payer des crédits ou des amendes… Le système mis en place commence à produire ses effets et il faudrait absolument s'en inspirer pour l'eau, sans toutefois le reproduire exactement car ce système comporte beaucoup d’imperfections. Mais l’eau se mesure tout comme le carbone et nous avons tous, particuliers comme entreprises, une « empreinte eau ». En ce qui concerne l’eau “matière première”, pourquoi ne pas envisager une taxe qui permettrait d’optimiser la consommation et de subventionner des technologies de recyclage, de récupération des eaux de pluie, de rénovation de nos infrastructures, etc. ? L’eau doit devenir une métrique et un enjeu de régulation tout aussi important que l’a été le carbone dans les dernières années.

Pour aller plus loin

Share this page
Latest news :