Ecrit par Antoine Bondaz, Chargé de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, Maître de conférences, Sciences Po – USPC.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.

 

Il semblerait que les autorités chinoises ne tentent pas seulement de gérer la crise sanitaire, mais aussi la crise politique qui risque d’en découler…

Effectivement, on voit se mettre en place des chaînes politiques où les gens commencent à se protéger. Au niveau de la chaîne de prise de décision, notamment, l’attention est focalisée sur le premier ministre Li Keqiang pour épargner Xi Jinping.

Une réunion du comité permanent du bureau politique, le plus haut échelon du parti communiste chinois (PCC), a été organisée le jour du Nouvel An. Outre la mise en scène visant à mettre l’accent sur la mobilisation jusqu’au plus haut niveau, une décision importante est prise ce jour-là : la création d’un groupe de coordination, sur le modèle de celui qui avait été créé en 2003 lors du SRAS. À ceci près qu’en 2003 il était dirigé par une femme qui était à l’époque la 2e vice-premier ministre. Cette fois, il est dirigé par Li Keqiang, le 2e personnage du PCC, et ce même si c’est officiellement Xi Jinping qui donne les instructions. Autrement dit, Li peut servir de fusible si la gestion de crise ne fonctionne pas sur le plan politique afin, in fine, de protéger Xi.

Par ailleurs, il a été demandé à l’ensemble des cadres du parti d’être mobilisés. Il ne doit y avoir aucun « déserteur », sinon l’ensemble du PCC peut être discrédité. Son rôle est souvent présenté comme consistant à organiser une société de 1,4 milliard de personnes. S’il n’est pas capable de venir en aide aux populations, d’organiser les chaînes logistiques et autres, il perdra en crédibilité et, au final, en légitimité. C’est une crainte importante. On a appris que des membres du parti qui n’avaient pas mis en œuvre de façon stricte les mesures d’hygiène (par exemple interdire les rassemblements) avaient déjà été limogés. Des cadres locaux pourraient également être limogés afin de reporter la responsabilité des autorités centrales – ne pas avoir pris de décisions plus tôt – vers les autorités locales. L’avantage est encore une fois de protéger les dirigeants : en cas de problème, pour éviter la contagion politique, le fusible pourrait être le maire de Wuhan. Inutile, comme en 2003, de démettre le ministre de la Santé.

Quelle est la place de Wuhan dans ce dispositif ?

Plusieurs éléments indiquent que Pékin fait tout pour concentrer l’attention sur Wuhan. Les propos du secrétaire général de la section du Parti ainsi que ceux du maire de Wuhan sont très médiatisés, les médias sont concentrés sur ce qui se passe dans cette ville et moins dans les autres cités… En outre, des termes très spécifiques sont employés : en Chine, on ne parle pas du 2019-nCoV, mais de la « pneumonie de Wuhan ». En 2003, le SRAS ne s’appelait pas le « virus de Foshan », ville où il avait émergé. C’est très important : il s’agit de faire de cette maladie une maladie localisée. Cela rassure le reste de la population. Les autorités font du coronavirus une maladie de Wuhan, à Wuhan. Cette stratégie en termes de communication se retrouve également dans plusieurs éditoriaux publiés à partir du 23 janvier font état du « sacrifice de Wuhan » afin de sauver le reste du pays.

Mais les mesures prises par Pékin se heurtent parfois à celles prises au niveau local. Par exemple, de nombreux villages ont décidé de se couper du reste du pays, de s’isoler en bloquant les routes. Cette gestion ultralocale des enjeux complique les choses car les intérêts locaux ne sont pas ceux du pays ou du PCC. Va-t-il réussir à gérer ce début de crise politique au niveau ultra-local ?

 

Par ailleurs, la quarantaine n’a pas posé tant de problèmes dans les premiers jours (d’autant que les gens avaient fait des provisions pour les fêtes du Nouvel An). Mais ensuite ? Comment approvisionner des dizaines de millions d’habitants en nourriture ou en biens de première nécessité alors qu’il y a des restrictions de déplacement ? Les livreurs des entreprises chinoises privées de livraison, qui sont autorisés à se déplacer – contrairement aux particuliers – vont jouer un rôle extrêmement important dans la logistique tout comme, évidemment, l’Armée populaire de libération. Pour l’instant, il ne semble pas y avoir de problèmes majeurs, si ce n’est évidemment une pénurie dans les matériels de protection et les équipements médicaux.

Et au niveau international, quel impact la crise a-t-elle sur les relations de la Chine avec les autres pays ?

L’OMS a décrété une urgence de santé publique de portée internationale le 30 janvier. La Chine a fait ce qu’il fallait pour retarder cette annonce le plus possible, afin de montrer qu’elle est proactive et qu’elle a pris les mesures nécessaires avant que l’OMS ne déclare l’urgence. Le poids du pays sur la scène internationale et, notamment, dans les organisations internationales, beaucoup plus important qu’en 2003 puisque la Chine est désormais le deuxième contributeur financier de l’ONU, permet désormais à Pékin de peser sur ce type de décisions – d’autant plus que déclarer l’urgence de santé publique de portée internationale (USPPI) est une décision politique du directeur-général de l’OMS.

Autre indice : au lendemain de ses premières réunions sur le sujet, le 22 janvier, l’OMS a diffusé les arguments et les éléments de langage du gouvernement chinois. En particulier, le directeur général de l’OMS Tedros Adhanom Ghebreyesus a félicité personnellement Xi Jinping et Li Keqiang pour leur leadership dans la gestion de la crise – ce qui était, avec le recul, une erreur de communication visant à satisfaire Pékin mais qui a inquiété de nombreux pays sur sa partialité.

Une des questions diplomatiques qui se posent concerne l’évacuation des dizaines de milliers de ressortissants étrangers. Qui sera autorisé in fine à quitter la Chine ? Si un ressortissant français est marié à une personne de nationalité chinoise, avec qui il aurait eu des enfants, son épouse ne peut pour l’instant pas être évacuée.

Pékin refuse aussi l’évacuation des ressortissants de Taiwan qui se trouvent à Wuhan, car Taiwan est considérée comme une province chinoise. Évidemment, Taipei souhaiterait obtenir leur évacuation mais n’y parvient pas pour l’instant. Rappelons également que Taiwan ne fait pas partie de l’OMS et que la Chine refuse que l’île ait un statut d’observateur (ce qu’elle avait pourtant accepté entre 2008 et 2016), ce qui complique la gestion de cette crise sanitaire à Taiwan et a également un impact direct sur nos ressortissants y vivant.

Enfin, concernant l’aide internationale, comment aider la Chine sans lui faire perdre la face ? Les autorités chinoises n’ont initialement pas publiquement demandé d’aide. Mais on sait que cette aide a été requise de façon officielle mais non publique. La Chine a par exemple demandé l’envoi d’équipements : gants, lunettes, combinaisons. Les avions qui sont allés chercher les ressortissants apportaient d’ailleurs de l’aide. Depuis, la Chine a officiellement demandé l’aide à l’Union européenne, et non aux États-Unis. Cela indique bien que des pénuries importantes existent en Chine, ce qui n’est pas rassurant, surtout dès le début de l’épidémie.

L’économie chinoise est-elle menacée ?

Les conséquences seront beaucoup plus importantes que dans le cas du SRAS. Les secteurs du tourisme, de la restauration, de l’hôtellerie, de la vente et du divertissement sont évidemment très impactés par les restrictions de déplacement et la fermeture des centres commerciaux. On se rappelle qu’en 2003 les ventes des marques de luxe avaient été impactées avant de connaître un rebond le trimestre suivant. Aujourd’hui, non seulement la crise sanitaire risque de durer beaucoup plus longtemps, mais la Chine représente une part très importante des ventes de ces marques, et certains segments comme l’horlogerie y sont très fortement exposés.

Par ailleurs, de nombreuses chaînes de production risquent d’être interrompues, ce qui n’avait pas été le cas en 2003. Pour avoir une idée de l’impact, il conviendrait de se rappeler des conséquences du tremblement de terre au Japon ou des inondations en Thaïlande en 2011, notamment sur le secteur automobile. Le Hubei, c’est deux millions de voitures produites par an et des milliers de sous-traitants, soit l’équivalent de la production française, et près de 75 % de la production de PSA en Chine.

L’impact financier est également considérable et les pertes en termes de valorisation vont se compter en centaines de milliards de dollars. Les bourses de Shenzhen et Shanghai ont rouvert au matin du 3 février et clôturé en baisse de 8 %. Il faut enfin y ajouter le coût direct de la gestion sanitaire en Chine, qui s’évalue en milliards de dollars et l’impact indirect de l’absentéisme dans de nombreux secteurs en Chine qui ont décidé de reporter la date de reprise du travail, au moins jusqu’au 10 février.

La Chine représentant près de 20 % de l’économie mondiale et surtout un tiers de la croissance mondiale, tout ralentissement dans ce pays aura évidemment des impacts considérables pour le reste du monde, une différence majeure avec 2003.

Comment la situation pourrait-elle évoluer ?

De nombreuses incertitudes demeurent. On ne sait pas de quelles informations disposent vraiment les autorités sanitaires chinoises ; or ce sont les seules à pouvoir les fournir. Plusieurs inconnues demeurent également concernant le virus : période d’incubation précise, existence d’un risque d’infection asymptomatique (dans le cas du SRAS, la contagiosité apparaissait plusieurs jours après les premiers symptômes), ratio de contamination (combien un malade peut-il infecter de personnes)… Ce dernier paramètre est important. Dans le cas de la grippe, le ratio est généralement de 1,4 ou 1,5. Pour le 2019-nCoV, les premières données indiquent plutôt un ratio situé entre 2 et 4. Ce qui veut dire que, sans mesures spécifiques, la maladie se répandrait beaucoup plus vite que la grippe saisonnière… Si l’épidémie dure plusieurs mois, ce seront des centaines de milliers de personnes qui seront concernées en Chine.

Vu que l’on ne connaît pas encore précisément tous ces éléments, il est très difficile de juger de l’efficacité des mesures chinoises et de prévoir l’évolution de la situation. L’objectif clair pour Pékin est d’éviter que cette crise sanitaire sans précédent qui va se transformer en crise économique ne devienne une crise politique qui risquerait de déstabiliser le Parti.The Conversation

 

Antoine Bondaz, Chargé de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, Maître de conférences, Sciences Po – USPC

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