Ecrit par Reinhart Kössler, Professor in Political Science, University of Freiburg et Henning Melber, Extraordinary Professor, Department of Political Sciences, University of Pretoria
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.

La récente « déclaration commune » des gouvernements namibien et allemand sur le génocide de 1904-1908 marque la première fois qu’une ancienne puissance coloniale présente officiellement des excuses à un autre pays pour des crimes de masse commandités par l’État. L’accord stipule que l’Allemagne versera 1,1 milliard d’euros pour des projets de développement en Namibie au cours des trente prochaines années. Certains experts considèrent cet accord comme un modèle potentiel pour les efforts de réconciliation postcoloniale qui pourraient être entrepris par d’autres anciennes colonies et puissances coloniales.

Toutefois, le compromis négocié présente des lacunes flagrantes du fait de sa prudence excessive visant à éviter toute conséquence juridique pour l’Allemagne qui pourrait créer un précédent. Il montre également que la participation limitée des représentants des communautés namibiennes les plus touchées par le génocide entrave une véritable réconciliation.

Mais les accords bilatéraux entre gouvernements – comme celui-ci – ne suffisent pas pour considérer qu’une véritable décolonisation des relations entre les peuples a eu lieu.

Une longue négociation

L’accord est le résultat de longues négociations entre l’Allemagne et la Namibie. Il s’appuie sur des déclarations antérieures, comme le discours prononcé en 2004 par la ministre allemande de la Coopération économique, Heidemarie Wieczorek-Zeul, à l’occasion du centenaire de la bataille de Waterberg, qui a marqué le début du génocide. Elle a alors reconnu que ce qui s’était passé était « une guerre d’extermination […], ce qu’on appelle aujourd’hui un génocide », avant de déclarer : « Pardonnez nos offenses et notre culpabilité. »

Plus de dix ans plus tard, à la mi-2015, le ministère allemand des Affaires étrangères a reconnu que la guerre de 1904-1908 était assimilable à un génocide. À la fin de cette année-là, des négociations bilatérales entre les deux gouvernements ont été engagées. Mais celles-ci n’ont cessé de buter sur certaines pierres d’achoppement.

Redoutant d’éventuelles obligations juridiques conséquentes, l’Allemagne a souhaité négocier sur le format de ses excuses à la Namibie. Elle était réticente à utiliser le terme de « génocide ». Et elle a toujours refusé d’accepter celui de « réparations ».

Quelques années plus tôt, en 2011, un premier progrès avait été réalisé dans la prise en compte des atrocités coloniales avec la première remise par Berlin à la Namibie de restes humains des victimes du génocide. Des crânes et autres parties de corps humains avaient été emportés dans l’Allemagne coloniale pour des études anatomiques anthropologiques qui ont ensuite contribué à la « science raciale » nazie. Par la suite, de nombreuses autres occasions pour une réconciliation pleine de sens ont été manquées.

Les craintes sont grandes que tout accord ait de possibles implications juridiques, puisse représenter un précédent pour l’Allemagne et d’autres anciennes puissances coloniales. Celles-ci craignent d’ouvrir la porte à des réparations. Du point de vue de l’Allemagne, cela concerne également les demandes de la Grèce, de l’Italie et de la Pologne en vue d’une indemnisation pour les atrocités de masse commises par les soldats allemands pendant la Seconde Guerre mondiale.

Le récent compromis négocié par l’Allemagne et la Namibie permet d’éviter un tel « piège » pour l’Allemagne et les autres anciennes puissances coloniales.

Trop peu, trop tard

L’engagement de l’Allemagne à hauteur de 1,1 milliard d’euros en faveur de projets de développement en Namibie est un prix trop faible à payer pour son remords. Comparé aux coûts humains durables et aux dégâts matériels causés en Namibie, cet engagement est purement symbolique et même insultant, comme l’a dit Vekuii Rukoro, « chef suprême » des Ovaherero.

Le paiement annuel pour les trente prochaines années s’élève à environ 37 millions d’euros, soit à peu près 618 millions de dollars namibiens au taux de change actuel. Le budget national de la Namibie pour 2021/22 est de 67,9 milliards de dollars namibiens.

Pour le gouvernement namibien, cette somme est tentante. Après tout, l’économie du pays est plongée dans une profonde récession. L’épidémie de Covid-19 a aggravé la crise budgétaire. Une telle injection financière serait donc utile, surtout à un moment où la confiance dans le gouvernement s’érode. L’argent est destiné à la réforme et au développement fonciers, aux infrastructures rurales, à l’approvisionnement en énergie et en eau ainsi qu’à l’éducation.

Le président allemand Frank-Walter Steinmeier devrait se rendre en Namibie pour demander des excuses à l’Assemblée nationale. Mais un tel engagement officiel au niveau politique ne peut remplacer un échange direct avec les descendants des communautés les plus touchées, qui ont menacé d’accueillir le président allemand par des manifestations.

Reconnaissance sans compensation

À l’issue de la conclusion des négociations, le ministère allemand des Affaires étrangères a publié une déclaration officielle. Il a souligné que la reconnaissance du génocide n’impliquait aucune « demande légale de compensation ». Au contraire, ce « programme substantiel […] pour la reconstruction et le développement » a été annoncé comme un « geste de reconnaissance » des méfaits de l’Allemagne.

On peut cependant se demander si les « gestes » constituent une forme de reconnaissance adéquate. Un langage si formel peut être très humiliant et blessant. Étant donné l’ampleur des crimes commis à l’époque, faire preuve de davantage d’empathie serait un signal important. La réconciliation nécessite plus qu’une compensation matérielle. Les conséquences démographiques et socio-économiques dévastatrices d’un génocide ne peuvent jamais être compensées. Améliorer le bien-être des descendants des victimes de manière significative aurait une dimension matérielle importante. Et cela exige plus que les paiements proposés.

Il en va de même pour l’expression adéquate des remords pour reconnaître une injustice historique. La « déclaration commune » stipule que le gouvernement et le peuple namibiens acceptent les excuses de l’Allemagne et estiment qu’elles ouvrent la voie à une compréhension mutuelle durable et à la consolidation d’une relation privilégiée entre les deux nations. Sans consultation ni légitimité pour le faire, les deux gouvernements déclarent ici ce que le peuple namibien est censé accepter. Fait notoire : même les représentants de trois Maisons royales Ovaherero qui avaient participé au dernier cycle de négociations ont indiqué à leur retour chez eux qu’ils n’approuveraient pas l’accord proposé.

Ce qu’exigerait une véritable réconciliation

Au terme d’un processus long et laborieux, l’Allemagne a finalement réalisé des progrès significatifs pour affronter les atrocités de l’Holocauste des Juifs d’Europe pendant la Seconde Guerre mondiale. Le souvenir de cet événement fait désormais partie de l’ADN de l’Allemagne. Le mémorial de l’Holocauste qui se trouve au centre de Berlin en témoigne.

L’Allemagne est par ailleurs parvenue à une certaine réconciliation avec la France voisine et, dans une moindre mesure, avec la Pologne pour ses crimes pendant la guerre.

Les atrocités coloniales de l’Allemagne devraient également entrer dans la mémoire publique. La commémoration publique des victimes des nombreux crimes commis sous le colonialisme allemand, comme ceux en Namibie, n’a que trop tardé.

S’il y a une leçon à tirer de ces actions, c’est que les accords bilatéraux entre gouvernements ne peuvent remplacer la réconciliation entre les peuples des deux pays concernés. Il est possible de retrouver les descendants des victimes du génocide en Namibie, mais qu’en est-il des auteurs de ce génocide ? Comme l’a déclaré le militant et auteur namibien Jephta U Nguherimo, le président Steinmeier devrait présenter ses excuses au Bundestag pour que le peuple allemand comprenne et apprenne ce génocide jamais raconté.

Mais jusqu’ici, cette perspective indispensable a fait totalement défaut.

Un compromis, mais pas encore une solution

L’accord germano-namibien est le résultat limité d’un compromis obtenu au terme de négociations gouvernementales imparfaites. Il s’agit néanmoins d’une étape pionnière largement reconnue. Du point de vue allemand, cette reconnaissance de culpabilité et des conséquences qui en découlent est un pas vers la fin de l’amnésie coloniale. Au final, cela pourrait favoriser une prise de conscience du passé colonial de l’Allemagne, qui n’a que trop tardé. Elle peut favoriser une reconnaissance sans réserve du fait que les Allemands ont occupé des territoires étrangers et soumis des populations, créant ainsi des dommages durables. Mais même cela ne contribuera guère à la cicatrisation des blessures persistantes en Namibie.

La décolonisation et la réconciliation doivent devenir un processus partagé entre les peuples. Les gouvernements peuvent contribuer à faciliter un tel processus. Ils ne pourront jamais le supplanter.


La traduction vers la version française a été assurée par le site Justice Info.


Reinhart Kössler, Professor in Political Science, University of Freiburg et Henning Melber, Extraordinary Professor, Department of Political Sciences, University of Pretoria

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