Ecrit par Laurie Servières, Doctorante en relations internationales, Sciences Po - Université d'Etat de Rio de Janeiro, Sciences Po – USPC
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.

Le 19 août dernier, un épais nuage de fumée plonge São Paulo dans l’obscurité. Il est 15h, le Brésil se réveille : l’Amazonie est en feu. La nouvelle, à l’inverse des flammes, peine pourtant à se propager, alors que les incendies durent déjà depuis plusieurs semaines dans le nord et la région centre-ouest du Brésil.

Quelques images « choc » et des vidéos circulent sur les réseaux sociaux, n’ayant parfois rien à voir avec les évènements récents. Le ministre brésilien de l’Environnement, Ricardo Salles, qui n’a visiblement pas pris ombrage des nuages noirs accumulés au-dessus de la principale métropole brésilienne, dénonce des manipulations médiatiques. Début août, suite à la publication d’images satellites révélatrices, le directeur de l’Institut national de recherche spatiale lui-même avait été accusé de diffuser de fausses rumeurs, et contraint à démissionner.

Le scandale, néanmoins, grossit, et bientôt, des internautes du monde entier « pray for Amazonia ». Alors que le voile se lève peu à peu sur les pratiques de déforestation massives perpétrées sur le territoire brésilien, le Président Bolsonaro, négationniste climatique assumé, ne semble pas disposé à intervenir pour faire cesser les flammes. C’est dans ce contexte qu’intervient la fameuse déclaration macronienne, qui va mettre le feu aux poudres…

 

L’Amazonie, un enjeu de souveraineté

Pour entrer au cœur de la dispute Macron-Bolsonaro, il faut s’écarter momentanément de la question amazonienne. Ou plutôt la resituer, non plus seulement dans un contexte environnemental, mais dans un débat classique de relations internationales : celui de la souveraineté.

Si elle constitue symboliquement « notre maison » et « une ressource dont les bienfaits bénéficient à tous et dont la destruction nuirait à tous » l’Amazonie appartient, stricto sensu, aux territoires d’États souverains. Au regard du droit international, elle ne constitue pas un espace commun, au même titre par exemple que l’Arctique ou les océans.

Un potentiel recours légal, pour faire pression sur l’État brésilien serait la Convention de l’Unesco, signée par lui, qui engage les parties à préserver les sites reconnus comme patrimoine de l’humanité. Là encore, prudence : seule une partie de l’Amazonie est concernée : 6 millions d’hectares sur 550 au total. Et ce texte n’est associé à aucune force contraignante – c’est l’éternelle limite du droit international. Même si des principes de « responsabilité de protéger » ou « écocide » ont pu être convoqués, ceux-ci n’ont pas de validité juridique : le système international garantit à l’État brésilien le droit de décider sur son territoire amazonien.

Dès lors, la mise à l’agenda du G7 par Emmanuel Macron de ce qu’il qualifie de « crise internationale » pose question… Comment un comité informel de 7 États, dont le Brésil ne fait pas partie, pourrait-il prétendre à traiter cet enjeu, unilatéralement et en l’absence du premier intéressé ? Au Brésil, même chez de farouches opposants à Bolsonaro, l’appel du Président français provoque une certaine gêne.

Faire pression sur le Brésil

L’annonce faite, dimanche 25 août, du soudain retrait français dans le processus de finalisation d’un traité commercial de l’Union européenne avec le Mercosur – incluant le Brésil, mais aussi l’Argentine, l’Uruguay et le Paraguay – a surpris une partie de l’opinion. En particulier les nombreuses ONG qui s’étaient mobilisées par une lettre ouverte contre la conclusion de cet accord – restée alors lettre morte. L’Allemagne elle-même a émis des réserves sur une attitude potentiellement contre-productive : le traité tel que négocié en juin comprenait justement une clause de protection environnementale qui devait inciter Bolsonaro à honorer les engagements de la COP21…

En tout cas, la mise en balance de partenariats commerciaux comme levier de pression ou de négociation est monnaie courante en diplomatie. En menaçant de s’opposer au traité, Macron fait appel au classique « jeu de la carotte et du bâton » – faisant de l’œil, du même coup, aux secteurs de l’opinion française hostiles à la signature : lobbies agricoles et ONG environnementales notamment.

L’autre levier diplomatique mobilisé par le chef d’État français semble, lui, plus problématique. Et pour cause : en mettant la crise amazonienne à l’agenda d’une rencontre politique à laquelle le Brésil n’a pas été convié, le Président français touche une corde sensible.

Diplomatie 2.0 : nouveaux canaux… mais vieux démons

S’il figure au rang des dix premières économies mondiales, le Brésil est un État du Sud et reste marqué par un passé colonial. Les questions de souveraineté, contre les menaces d’ingérence des anciennes métropoles, constituent un axe clé de sa diplomatie… tournée de longue date vers la volonté d’obtenir un jour le statut de membre permanent au Conseil de Sécurité des Nations unies et le sacro-saint pouvoir de veto.

En confiant à une poignée d’États du Nord le soin de s’occuper de cette « crise » souvenrainement brésilienne, Macron réveille les vieux démons de l’époque coloniale… Son appel induit un rapport de force asymétrique, entre les « grands décideurs » – et anciennes métropoles – du G7 et un Brésil exclu, « humilié », qui n’aurait pas son mot à dire.

Cette intervention provoque la crispation d’une partie de la classe politique brésilienne. Sur Europe 1, l’ambassadeur du Brésil, Luis Fernando, martèle : « on veut de l’aide pour combattre le feu, mais on ne veut pas d’ingérence internationale » tandis que Bolsonaro dénonce la « mentalité colonialiste » derrière les propos du Président français. Adepte des réseaux sociaux, qu’il emploie comme canal principal de communication et de « diplomatie », il multiplie dans ses tweets les références au principe de souveraineté, tentant à son tour de diaboliser le chef d’État français.

 

Le soutien étatsunien offert par Donald Trump ainsi que sa rencontre avec le président colombien sont immédiatement instrumentalisés : Bolsonaro en fait ses alliés, dans une véritable « croisade » contre l’ingérence. Il joue sur les évènements pour se repositionner sur l’échiquier des alliances internationales et domestiques, tentant de fédérer les Brésiliens autour d’un ennemi commun.

De fait, dans l’échange de politesses entre Macron et Bolsonaro, la réalité des incendies en Amazonie devient prétexte à l’assouvissement d’aspirations politiques personnelles des deux chefs d’État.

Macron, « champion de la Terre » ?

Si le tapage médiatique s’est concentré autour des deux dirigeants, ce sont en réalité l’Allemagne et la Norvège qui ont tiré la sonnette d’alarme sur les pratiques de déforestation, en suspendant leur participation au Fonds Amazonie. Emmanuel Macron, proclamé sournoisement « champion de la Terre » depuis son intervention « Make planet great again » en 2018, n’aurait donc pas été le premier à réagir. En clamant haut et fort sa préoccupation, il endosse pourtant une nouvelle fois le costume du « défenseur de la planète », rappelant son rôle de garant de l’accord de Paris, signé à la suite de la COP21.

Là encore, il a recours à un procédé assez commun en relations internationales comme en marketing : en associant son image et celle de la France à la cause environnementale, il espère donner un second souffle à sa popularité… et à une diplomatie française en déclin.

La convocation du G7 à Biarritz pourrait d’ailleurs s’inscrire dans la même ligne. Or, avant même sa tenue, la rencontre ne faisait pas l’unanimité… La mise à l’agenda de la question amazonienne n’aurait-elle pas été pensée comme un moyen de légitimer ce G7, et fédérer les intérêts de membres divisés autour d’un thème consensuel ?

En tout cas, les relations franco-brésiliennes étaient tendues bien avant l’irruption des nouvelles amazoniennes. La négociation du traité UE-Mercosur – notamment l’introduction des fameuses conditions environnementales – avait déjà donné lieu à un bras de fer entre les deux chefs d’État. Mais un autre incident, plus trivial, avait également produit des étincelles.

Fin juillet, alors qu’il avait rendez-vous avec le ministre français des Affaires étrangères à Brasilia, Bolsonaro avait en effet décidé d’annuler la rencontre, à la dernière minute. Le Quai d’Orsay n’aurait sans doute pas coupé les cheveux en quatre… si le Président brésilien n’avait lui-même, quelques instants plus tard, diffusé sur ses réseaux une vidéo où on le voit chez son coiffeur, ne laissant plus aucun doute sur ses intentions de provocation.

Un affront difficile à digérer pour la France, dont la diplomatie a effectivement connu des jours meilleurs : en snobant le chancelier français, Bolsonaro s’assoit sur l’héritage d’une longue tradition diplomatique et d’un prestige… dont le siège permanent au Conseil de Sécurité des Nations unies est un des derniers vestiges. La tentative d’humiliation est claire et Emmanuel Macron y fait lui-même référence, dans une conférence de presse où il répond à des propos injurieux de Bolsonaro à l’encontre de son épouse.

Repenser les formes de l’action collective

Les fameux « messages-chocs » du clan Bolsonaro et l’usage pour le moins déviant que celui-ci fait des réseaux sociaux n’ont cependant pas d’autre but que de détourner l’attention du vrai débat : qui a allumé les feux ? Le Président est-il mêlé à l’affaire du « dia do fogo » à l’origine d’une partie des incendies ? Comment surmonter le sinistre et faire cesser ces pratiques de déforestation ?

Les yeux braqués sur les agissements de Bolsonaro, les grands lanceurs d’alerte ont d’ailleurs manqué une information importante : quelques mois plus tôt, le gouvernement d’Evo Morales faisait passer en Bolivie une modification à un décret, ouvrant des zones anciennement protégées du pays aux pratiques de déforestation.

À rebours de ce que suggèrent la première déclaration du président français et les nombreuses instrumentalisations qui ont suivi, les incendies en Amazonie ne devraient pas être interprétés comme une « crise internationale ». Ils témoignent en effet d’un problème environnemental global, qui transcende les intérêts des différentes nations et requiert un engagement collectif solide.

D’autres voies, d’autres modes de protection et d’administration des espaces et biens fondamentaux devront être pensés et explorés pour préserver la biodiversité.

La preuve en est que toutes les mises en garde onusiennes, accords de Paris et autres donations financières n’auront pas suffi à sauver les hectares de forêts partis en fumée : alors que les premiers canadairs arrivaient (tardivement !) au-dessus l’Amazonie, le multilatéralisme, lui, semblait déjà prendre l’eau.The Conversation

 

Laurie Servières, Doctorante en relations internationales, Sciences Po - Université d'Etat de Rio de Janeiro, Sciences Po – USPC

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.