Synthèse du débat organisé dans le cadre du forum mondial Normandie pour la Paix.
Modérateur : Paul Stares, Directeur du Center for Preventive Action, Council on Foreign Relations
Intervenants : Kabiné Komara, Ancien Premier Ministre de Guinée ; Nancy Lindborg, Présidente, United States Institute of Peace ; Nicolas Regaud, Conseiller spécial pour l’Indo-Asie-Pacifique, Direction générale des relations internationales et de la stratégie, Ministère des Armées

Un consensus scientifique est désormais clairement établi à propos du changement climatique. Il devrait se traduire par une élévation des températures et par une augmentation de la fréquence de certains phénomènes, comme les canicules ou les sécheresses. Les experts des questions militaires se sont emparés de la question, aboutissant à la conclusion que le changement climatique pourrait constituer une source de conflits dans certaines régions de la planète.

La raréfaction de l’eau potable est l’une des principales menaces associées au changement climatique. Ce dernier se traduit par une diminution de la pluviométrie dans certains territoires. Le changement climatique est par exemple déjà perceptible depuis des décennies en Afrique de l’Ouest : Kabiné Komara mentionne le désert du Sahara, qui s’étend vers le sud depuis les années 1960, tandis que Nancy Lindborg remarque que des sécheresses autrefois décennales ont désormais tendance à se produire chaque année dans la Corne de l’Afrique.

L’élévation des températures intervient également. Le niveau d’évaporation des fleuves augmente, comme par exemple pour le Nil et le Niger. Certains pays pourraient même devenir complètement inhabitables du simple fait de l’élévation des températures, avec pour conséquence la fuite des populations. Cette situation est aggravée par la pression anthropique : la population augmente rapidement dans certaines régions du monde, ainsi que les besoins en eau par habitant. Nancy Lindborg signale par exemple que le Nil ne devrait plus être capable de couvrir que 60 % des besoins en eau des pays qu’il traverse dans les dix ans à venir. Kabiné Komara note cependant que les besoins en eau peuvent être réduits en la recyclant, notamment pour l’irrigation.

La problématique de la baisse du débit des fleuves prend une autre dimension lorsqu’ils traversent plusieurs pays. Les exemples de conflits d’usage amont-aval sont assez nombreux : Nicolas Regaud cite notamment la construction de multiples barrages par la Chine sur le Brahmapoutre, ce qui irrite l’Inde, qui envisageait de faire de même. Quant au Bangladesh, il devra subir les conséquences des projets chinois et indiens.

Kabiné Komara mentionne cependant un exemple de partage efficace des ressources hydriques au niveau du fleuve Sénégal : la Guinée, le Mali, la Mauritanie et le Sénégal ont créé l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS), qui leur permet de gérer le fleuve collectivement, allant jusqu’à partager la propriété des aménagements construits.

La problématique d’accès à l’eau n’engendre pas seulement des litiges internationaux mais aussi des conflits armés, notamment lorsque les États ne sont pas suffisamment robustes pour gérer la crise vécue par leur population. Les conflits sont souvent aggravés par des problématiques additionnelles, à l’image du sous-développement économique, de l’explosion démographique ou encore des tensions intercommunautaires. Kabiné Komara explique que du fait de la raréfaction de l’eau dans la région du lac Tchad – le lac lui-même a perdu 90 % de sa superficie – les populations nomades manquent d’eau pour leurs troupeaux. Elles migrent alors vers le sud, et la promiscuité forcée avec les agriculteurs locaux est à l’origine de nombreuses violences – deux fois plus meurtrières que les attaques de Boko Haram dans la région.

Nancy Lindborg signale que d’après des mesures effectuées par la NASA, la Syrie avait traversé, entre 2006 et 2009, son plus sévère épisode de sécheresse depuis 900 ans. 85 % des fermes ont cessé leur activité et 70 % des cheptels ont été perdus. Les agriculteurs ont alors massivement cherché refuge dans les villes, où ils ont souffert d’exclusion sociale de la part du régime syrien, survivant dans une grande précarité. Cette situation a contribué à l’éclosion du mouvement contestataire en 2011, qui a rapidement dégénéré en guerre civile.

Le changement climatique a également pour conséquence la fonte des glaciers, qui engendre l’élévation du niveau des mers. Kabiné Komara souligne que, du fait du recul de la banquise, de nouveaux conflits sont susceptibles de naître dans le cadre de la course aux ressources de l’océan Arctique. À l’autre bout du monde, l’élévation du niveau des mers met en danger certains territoires insulaires, comme les îles Kiribati ou les îles Marshall, qui ont déjà partiellement disparu. En raison de sa forte population et de la faible altitude moyenne du pays, le Bangladesh sera durement touché par l’érosion côtière et la salinisation des sols. 50 millions de réfugiés climatiques pourraient ainsi être contraints de migrer vers le nord. Les pays qui se trouvent sur la trajectoire des typhons les plus puissants subissent des destructions massives dont ils peinent à se relever.

Il faut donc s’attendre, dans les décennies à venir, à une multiplication des conflits internationaux générés par le changement climatique. Kabiné Komara souligne d’ailleurs que pour l’instant, le réchauffement climatique reste limité à 1,1°C par rapport à l’ère préindustrielle. Or, selon les hypothèses du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), le réchauffement climatique devrait dépasser les 3°C en 2100. Certaines études arrivent à des augmentations de température encore plus importantes.

Aux yeux de Nicolas Regaud, pour pouvoir mieux réagir à ces situations, il importe de mieux comprendre les phénomènes climatiques à l’oeuvre, de sécuriser des infrastructures pour pouvoir secourir les populations victimes de catastrophes climatiques et de lancer des programmes de prévention en s’appuyant sur des recherches scientifiques.

Pour répondre aux enjeux environnementaux, plusieurs intervenants évoquent des dispositifs relevant d’une forme de solidarité internationale pour le climat. Pour Kabiné Komara, il semble indispensable que les pays développés, premiers responsables du changement climatique, débloquent des fonds pour la prise en charge des populations victimes de ce phénomène, qui vivent pour la plupart dans des pays en voie de développement. Il ajoute que ces États auront besoin d’être accompagnés pour opérer une transition vers des systèmes plus vertueux, intégrant la lutte contre la déforestation ou encore le recyclage de l’eau par exemple. Les pays développés eux-mêmes ne sont pas à l’abri des conséquences du changement climatique, note Nicolas Regaud : leur coût est en constante augmentation, ce qui pourrait nécessiter de faire appel à de tels fonds.

Nancy Lindborg considère que l’opinion publique doit être prise en compte dans la décision des autorités des pays développés concernant la mise en place d’une solidarité climatique internationale. La lutte contre les idées véhiculées par les climato-sceptiques sera donc décisive, de même que la sensibilisation des jeunes générations, qui sont les plus concernées par le changement climatique.