Lesley-Ann Daniels de l'Institut Barcelona Estudis Internacionals propose dans cet article publié sur le site The Conversation une analyse des trêves mises en place face au coronavirus, et de leur durabilité.

Alors que la pandémie de coronavirus se poursuit, l’ONU appelle à un cessez-le-feu mondial afin de protéger les populations des zones de conflit.

Les groupes armés au Yémen et en Syrie ont immédiatement donné leur accord. Pour eux, c’est une question de survie. Car dans ces pays ravagés par la guerre où les infrastructures sanitaires sont complètement détruites, l’arrivée du virus est particulièrement dangereuse.

Les hostilités ont également cessé dans des pays où les infrastructures et les perspectives sanitaires sont bien meilleures. Fin mars, la Nouvelle armée du peuple (NPA), la branche armée du Parti communiste aux Philippines, a proposé un cessez-le-feu dans une guerre qui dure depuis 50 ans pour permettre à l’ensemble de la population d’accéder aux tests et traitements. En Colombie, l’Armée de libération nationale (ELN), la plus ancienne guérilla active dans le pays, a accepté un cessez-le-feu d’un mois à compter du 1er avril.

Si la suspension des hostilités peut être un tremplin pour la paix, la résolution des conflits n’est pas aussi simple. Des études montrent que la paix repose sur un agencement complexe de facteurs. Bien que les cessez-le-feu pour des raisons sanitaires ne soient pas nouveaux (ils ont été utilisés lors de campagnes de vaccination contre la polio, par exemple), ils ne conduisent pas nécessairement à la paix.

Il est peu probable que les gouvernements signent des accords de paix en pleine crise sanitaire, étant donné qu’ils peuvent y voir l’occasion de fragiliser l’ennemi. Un choc extérieur tel que le coronavirus suspend le conflit mais n’en change nullement les structures sous-jacentes, telles que le contrôle des territoires, l’accès aux armes et aux sources de financement, et le soutien des diasporas.

Il importe donc de savoir si le coronavirus peut changer la dynamique du conflit de façon à ce que la paix devienne envisageable.

L’exemple d’Aceh

Le 26 décembre 2004, un tsunami frappait la côte d’Aceh, une petite province du nord-est de l’Indonésie, tuant plus de 150 000 personnes, faisant des centaines de milliers de sans-abri et détruisant une grande partie des zones côtières. À l’époque, le gouvernement indonésien menait une campagne sanglante contre le Mouvement pour un Aceh libre (GAM) ; l’année précédente, l’armée indonésienne avait tué quelque 2 000 personnes, principalement des civils. Toute la région était soumise à la loi martiale et complètement coupée du monde.

Dans les jours qui ont suivi le tsunami, l’armée indonésienne a intensifié ses attaques contre les combattants du GAM à Aceh. Selon ses propres déclarations, son offensive a fait plus de 220 morts.

Reconnaissance internationale

Le facteur principal dans le changement de stratégie du gouvernement indonésien n’a pas été le tsunami mais l’arrivée des médias étrangers, envoyés pour couvrir la catastrophe et rapidement suivis par la communauté internationale venue apporter son aide à la reconstruction de la province. Les projecteurs internationaux ont été braqués sur cette région jusque-là méconnue, et sur un conflit dont personne ne parlait.

Les organisations humanitaires et les Nations unies s’inquiétaient de la poursuite des combats car elle constituait un véritable obstacle à la mise en place des aides. Le Mouvement pour un Aceh libre, quant à lui, appelait à un cessez-le-feu et entamait des négociations en étant reconnu par la communauté internationale, une condition sine qua non qu’il recherchait depuis deux ans pour entamer des pourparlers. En neuf mois, les différents camps sont parvenus à un accord de paix qui perdure aujourd’hui.

Ce n’est pas le tsunami lui-même mais les conséquences de la catastrophe qui ont rendu cette paix possible. L’arrivée de la communauté internationale a changé la dynamique du conflit, encourageant le gouvernement indonésien à légitimer le GAM et à négocier avec lui.

Le problème de l’engagement

Ce qui dissuade surtout les groupes rebelles de faire la paix, c’est l’incertitude quant à leur sécurité une fois le conflit terminé. Comme souvent dans ces situations, ils hésitent à rendre les armes car si le gouvernement renie ses engagements, ils seront incapables de se défendre. On appelle cela le problème d’engagement. Les combattants ont du mal à croire aux promesses des autorités et sont donc extrêmement réticents à l’idée d’entamer des négociations.

L’étude que j’ai menée sur les amnisties accordées par les gouvernements durant un conflit a montré que les groupes rebelles redoutent par-dessus tout l’annulation des amnisties et le risque de poursuites. Des amnisties plus contraignantes, sous forme de loi, sont plus susceptibles d’aboutir à des accords réussis. Celle de 1999 en Algérie, par exemple, a été approuvée par référendum par 98 % de la population. Le caractère contraignant est l’expression de l’engagement gouvernemental envers le processus de paix.

Le problème de l’engagement explique pourquoi les groupes rebelles les mieux armés acceptent davantage de négocier. Parce qu’ils sont à même d’employer les grands moyens contre le gouvernement, ils retardent au maximum le moment de rendre les armes, dans l’hypothèse d’un échec à un stade ultérieur. En cas de nouvelle menace, ils sont ainsi en capacité de se regrouper rapidement et de mobiliser combattants et financements.

Une menace telle que le coronavirus ne modifie pas en soi les forces des différents camps et n’aide pas un groupe déjà affaibli à exiger quoi que ce soit. Mais elle l’isole davantage et le rend, de fait, insignifiant. Face à l’impossibilité de combattre et à la contamination qui les rendrait vulnérables, certains groupes armés voient dans un cessez-le-feu un moyen de survivre.

Maintien de la paix internationale

Un important corpus de recherches a montré que les processus de paix sont plus efficaces lorsqu’ils se déroulent sous la surveillance de représentants de la communauté internationale, tels que les Casques bleus ou les médiateurs internationaux. Pour les groupes armés, leur présence garantit que la communauté internationale tiendra le gouvernement national responsable s’il trahit les termes de l’accord.

Bien que l’ONU fasse pression pour instaurer des cessez-le-feu partout dans le monde, il n’est pas certain que la communauté internationale ait actuellement la capacité de s’engager pleinement dans la mise en œuvre de nombreux processus de paix. Elle est souvent défaillante, même en des temps moins troublés, et sa priorité actuelle est de lutter contre le coronavirus. Par ailleurs, de nombreux pays se détournent des solutions internationales en prenant des décisions nationales contre le coronavirus, comme la fermeture des frontières et la sécurisation nationale du matériel indispensable pour lutter contre la pandémie.

Si la menace que représente le coronavirus peut conduire certains combattants et gouvernements à un revirement, elle ne suffira pas en l’absence des conditions essentielles à un retour à la paix : la volonté de négocier et la surveillance internationale.


Traduit de l’anglais par Karine Degliame-O’Keeffe pour Fast ForWord.`

 
 

 

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.