Ecrit par Jérémy Dieudonné, Doctorant en Relations internationales, Université catholique de Louvain
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.

Les négociations entre l’Iran et les autres signataires du deal nucléaire de 2015 ont repris début avril. Elles ont pour but de ramener toutes les parties au respect de leurs obligations. Cependant, aucune issue favorable ne semble se dégager pour le moment. Malgré l’optimisme affiché et la volonté déclarée de Téhéran et de Washington de revenir à cet accord, les « rounds » de négociations se succèdent. Et une échéance importante se profile en tout cas le 18 juin : l’élection présidentielle iranienne. Trouver une solution avant cette date semble crucial.

Un seul candidat crédible reste en lice, Ebrahim Raisi. Les candidatures de ses deux adversaires principaux – Ali Larijani, conseiller du Guide suprême Ali Khamenei, et Eshaq Jahangari, actuel premier vice-président d’Hassan Rouhani (lequel est en poste depuis 2013) – ont en effet été invalidées. Ebrahim Raisi devrait donc, sans surprise, devenir le 18 juin prochain le nouveau président de la République islamique d’Iran, lui qui avait déjà récolté 38 % des voix en 2017.Ce clerc de 60 ans représente la frange radicale des conservateurs : proche du guide suprême Khamenei, il a été son élève. Procureur général adjoint de Téhéran à la fin des années 1980, il faisait alors partie du « comité de la mort », chargé des exécutions extrajudiciaires de milliers d’opposants politiques. Devenu ensuite procureur général de Téhéran, il a été nommé en 2017 à la tête d’une importante fondation religieuse du pays. Ces fondations, ou « bonyad », sous l’autorité directe ou indirecte du Guide suprême, contrôlent l’essentiel de l’économie iranienne. En 2019, il est devenu le chef de l’Autorité judiciaire du pays.

S’il n’a toujours pas clarifié sa position à l’égard du deal nucléaire avec les États-Unis, il semble peu probable qu’il en soit un fervent défenseur. Ses alliés conservateurs élus au Majlis, le Parlement iranien, ont en tout cas multiplié les initiatives pour s’en affranchir depuis les dernières élections législatives en novembre 2020. Si c’est bien le Guide suprême qui décide de la politique étrangère du pays et donc d’un potentiel deal nucléaire, Hassan Rouhani a montré que le président avait aussi un rôle à jouer en réussissant lui-même à infléchir la position iranienne à l’égard d’un deal avec les États-Unis.

Au vu de l’enlisement actuel des négociations entre l’Iran et le P5+1 (les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU plus l’Allemagne), l’élection d’Ebrahim Raisi à la présidence freinera probablement encore plus les tentatives de résolution diplomatique du « problème nucléaire ».

L’espoir nommé Joe Biden

C’était l’un des principaux engagements du candidat Joe Biden dans le cadre de sa politique étrangère : revenir à l’accord nucléaire. Son prédécesseur, Donald Trump, l’avait en effet quitté le 8 mai 2018 après l’avoir vilipendé pendant des mois. L’Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA), chargée de vérifier les développements nucléaires iraniens, avait pourtant certifié plus d’une fois le respect par Téhéran de toutes ses obligations. L’Iran a même longtemps continué à honorer la grande majorité de ses engagements, malgré les lourdes sanctions imposées par les États-Unis.

L’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche devait donc sonner comme un retour à la diplomatie et au multilatéralisme dans le dossier iranien. Les premiers signes semblaient encourageants. Le nouveau président avait en effet nommé les deux grands artisans du deal de 2015, Antony Blinken et Wendy Sherman, à la tête du département d’État américain. Mais la situation s’est rapidement enlisée. Au moins trois raisons peuvent être avancées.

 

Un mur d’obstacles

Tout d’abord, les développements politiques et nucléaires du côté iranien ont compliqué les négociations. Si Téhéran avait doucement commencé à s’affranchir de ses obligations liées au deal nucléaire à partir de 2019, la victoire des ultraconservateurs aux législatives de novembre 2020 semble avoir accéléré le processus.

Peu de temps après leur prise de fonctions, les députés ont voté une loi obligeant le gouvernement à reprendre l’enrichissement d’uranium à 20 %, bien au-delà des 5 % auxquels l’Iran s’était tenu jusque-là et des 3,67 % prévus par l’accord. Dans la foulée, le Parlement contraignait le gouvernement à limiter très largement la transparence de ses activités nucléaires en interdisant notamment à l’AIEA les visites imprévues. Plus récemment, en avril 2021, l’Iran a annoncé avoir effectivement repris l’enrichissement d’uranium à 60 %. Le pays aurait déjà accumulé une quantité de matériel fissile (nécessaire pour fabriquer une bombe atomique) seize fois supérieure aux quantités prévues dans l’accord.

Dans le même temps, Washington et Téhéran ont montré une incapacité chronique à échanger. On a pu assister à un véritable dialogue de sourds, chaque partie attendant que l’autre fasse le premier pas. Rendus inquiets par la perspective que l’Iran finance ses alliés au Moyen-Orient – Hezbollah et Bachar Al-Assad en tête – sans restreindre son programme nucléaire, les États-Unis refusent de lever les sanctions imposées et réclament avant toute chose un retour aux termes de l’accord du côté de l’Iran. À Téhéran, on pointe le manque de crédibilité des promesses de Washington. Du point de vue de la République islamique, puisque les Américains ont décidé unilatéralement de jeter le deal à la poubelle, c’est à eux de faire le premier pas et de revenir les premiers à leurs engagements de 2015.Enfin, Israël – qui possède le monopole nucléaire au Moyen-Orient – semble continuer d’exercer une influence importante sur le cours des choses, multipliant les actions contre Téhéran et troublant ainsi les négociations.

Le 27 novembre dernier, Mohsen Fakhrizadeh, physicien et responsable de haut niveau du programme nucléaire iranien, était assassiné lors d’une opération largement attribuée à Israël. Début avril 2021, c’est un navire militaire iranien qu’Israël aurait visé en mer Rouge lors d’une attaque à la mine. À peine quelques jours plus tard, une attaque à distance, touchant les installations nucléaires de Natanz et paralysant les centrifugeuses, a été attribuée par Téhéran à Israël. Et tout cela sans compter les nombreux raids aériens opérés par l’armée israélienne sur les positions iraniennes en Syrie.

Un accord vital pour tous

Malgré les difficultés, il semble crucial de ressusciter l’accord de 2015. D’abord parce qu’Israël a déjà prévenu qu’il ne laisserait pas l’Iran développer un arsenal nucléaire. Le fait qu’Israël se réserve le droit d’intervenir militairement s’il le juge nécessaire n’est un secret pour personne.

En attestent les plans d’attaque que Tsahal aurait commencé à préparer en janvier dernier, mais aussi les raids aériens réalisés par Israël sur les réacteurs d’Al-Kibar en Syrie en 2007 et d’Osirak en Irak en 1981. Dans une région déjà durement touchée par les épisodes de violence, une guerre entre l’Iran et Israël serait particulièrement destructrice et déstabilisante. D’autant plus que de nombreux autres acteurs pourraient être tentés ou contraints d’y participer.

Ressusciter le deal semble également être un impératif pour les Américains en particulier et pour les Occidentaux en général, qui manquent d’options de repli. Les sanctions n’ont jamais ralenti le développement nucléaire iranien, bien au contraire. Renoncer à l’option diplomatique signifierait donc devoir choisir entre deux possibilités aussi peu plaisantes l’une que l’autre. D’un côté, espérer que les sanctions finissent par fonctionner. Cela reviendrait probablement à laisser l’Iran développer ses capacités nucléaires. De l’autre, intervenir militairement. On retomberait alors dans le scénario évoqué au-dessus.

Enfin, et c’est peut-être le plus important, le deal apparaît indispensable pour la population iranienne, qui étouffe sous les sanctions. Le chercheur Djamchid Assadi avait évoqué ici les conséquences catastrophiques des sanctions pour les citoyens iraniens, avec une explosion de l’inflation et du taux de chômage.

 

Par ailleurs, en privant les investisseurs étrangers d’accès au marché iranien, les sanctions offrent sur un plateau la mainmise sur l’économie aux fondations évoquées en début d’article, qui sont aux ordres du Guide suprême et/ou des Gardiens de la Révolution. Un outil de plus entre leurs mains pour contrôler encore davantage une société civile déjà largement restreinte dans ses droits. Notamment dans les choix qu’on lui laisse pour élire son président.


Jérémy Dieudonné, Doctorant en Relations internationales, Université catholique de Louvain

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