Ecrit par Ekaterina Pierson-Lyzhina, Chercheuse au Centre d‘étude de la vie politique (Cevipol) , Université Libre de Bruxelles (ULB)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons

Alexandre Loukachenko, un dictateur vassal de Vladimir Poutine dans la guerre en Ukraine

Ekaterina Pierson-Lyzhina, Université Libre de Bruxelles (ULB)

Aucun autre État au monde n’a soutenu la Russie avec autant de vigueur dans son « opération militaire spéciale » que la Biélorussie d’Alexandre Loukachenko. Depuis le début de l’invasion le 24 février, l’État paria, frontalier à la fois de la Russie et de l’Ukraine, a laissé le Kremlin déployer ses troupes sur son sol et même l’utiliser comme point de départ d’attaques militaires visant le territoire ukrainien.

Jusqu’ici, les troupes biélorusses n’ont pas été envoyées en Ukraine, mais cela n’exonère pas les autorités de Minsk de leur responsabilité dans cette guerre.

Un allié historiquement peu fiable

Par le passé, malgré la forte dépendance économique de la Biélorussie vis-à-vis de Moscou, Loukachenko a souvent su habilement louvoyer, entre la Russie et les concurrents géopolitiques de celle-ci. De 2015 à 2020, il y a même eu un certain rapprochement avec l’UE, en partie grâce au refus de Minsk de reconnaître l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014.

Le dictateur, qui règne d’une main de fer sur son pays depuis 1994, a également tenu tête à Poutine sur des questions d’importance stratégique pour l’indépendance de la Biélorussie : au milieu des années 2000, il s’est opposé à l’introduction d’une monnaie commune au sein de l’État de l’Union (une organisation supranationale reliant les deux pays), et en 2015, à l’établissement d’une base aérienne russe souhaité par le Kremlin depuis la révolution du Maïdan en 2013-2014 en Ukraine.

Dans le contexte de la guerre du Donbass, Loukachenko, grâce à ses talents de manœuvrier, est brièvement parvenu à changer son image internationale. Il est en effet temporairement passé de « dernier dictateur d’Europe » à « médiateur dans la crise ukrainienne », en accueillant en 2014-2015 des pourparlers dans sa capitale, où furent signés les fameux Accords de Minsk.

À l’époque, il a adopté une position ambiguë, ne reconnaissant pas l’annexion de la Crimée par la Russie, mais approuvant les actions de Vladimir Poutine dans cette région et dans le Donbass. Malgré la pression croissante du Kremlin, en 2022 Loukachenko est resté vague sur la question de la Crimée ainsi que sur le statut des républiques séparatistes de Donetsk et de Louhansk, que la Russie a reconnues comme indépendantes à la veille de son invasion de l’Ukraine.

En 2020, un tournant définitif vers Moscou

Mais globalement, le numéro d’équilibriste de Loukachenko a pris fin après son refus de céder aux forces prodémocratiques de son pays en août 2020. Rappelons qu’après l’annonce de sa nouvelle victoire à une élection présidentielle, entachée de fraudes grossières, un mouvement de contestation d’une ampleur inédite a éclaté en Biélorussie, et a bien failli faire chuter son régime.

Il n’a alors eu d’autre choix, pour assurer sa survie, que de se placer fermement sous la protection, et donc sous l’emprise, de la Russie. S’il s’est maintenu au pouvoir, c’est en grande partie grâce à Poutine, qui lui a permis de s’assurer le soutien des trois piliers restants du régime biélorusse : les siloviki (les services de sécurité ou militaires du pays, qui ont mis en œuvre une répression féroce à l’égard des contestataires), la verticale exécutive et environ 20 à 30 % de l’électorat.

Loukachenko s’est encore davantage coupé de l’Occident en ordonnant, en mai 2021, le détournement d’un avion reliant deux capitales européennes, Athènes et Vilnius, pour arrêter un opposant biélorusse qui se trouvait à bord, puis en provoquant une crise migratoire en Pologne et en Lituanie. Sa dépendance croissante vis-à-vis de la Russie a également abouti à la création de centres d’entraînement militaire communs qui ont servi de prétexte à la Russie pour établir et maintenir une présence militaire permanente en Biélorussie.

Ces dernières années, Loukachenko s’est mis à systématiquement présenter l’OTAN et l’Occident au sens large comme une menace pour la Russie et la Biélorussie. Lorsque des manifestations ont éclaté au Kazakhstan en janvier 2022, il a fait pression pour y envoyer des troupes sous le drapeau de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), dominée par la Russie, et a tenu l’Occident, et plus particulièrement la Pologne, pour responsable de ces troubles.

Ce n’est pas la première fois qu’il se tournait vers l’alliance militaire de l’OTSC pour aider d’autres autocrates à rester au pouvoir. En 2010, il avait demandé à cette même organisation d’envoyer des troupes pour soutenir le Kirghizstan de Kourmanbek Bakiev, sans succès. Cette fois-ci, il a eu réussi à convaincre Poutine de voler au secours de Kassym-Jomart Tokayev au Kazakhstan pour venir à bout des divers groupes politiques concurrents qui tentaient de tirer parti de protestations initialement motivées par des raisons économiques.

Le 27 février, la Biélorussie a adopté une nouvelle Constitution sous la pression du Kremlin, bien que Loukachenko ait déclaré aux médias trois jours plus tôt qu’il était satisfait de la version précédente. Le nouveau texte, approuvé par référendum en violation flagrante des procédures démocratiques, a été amputé d’un article qui affirmait que le pays était neutre et n’accueillait pas d’armes nucléaires sur son sol. Des membres de l’opposition biélorusse, comme Anatoli Liabedzka, ont déclaré que ce changement constituait une « base légale pour l’implantation d’une base militaire russe et le déploiement d’armes nucléaires » sur le territoire biélorusse.

Le jour du vote, l’opposition biélorusse a décidé de mobiliser l’électorat autour de l’idée de l’opposition à la guerre. Pour la première fois depuis décembre 2020, les Biélorusses sont descendus dans la rue, formant des piquets de grève et scandant des slogans anti-guerre devant les bureaux de vote. Environ 800 personnes ont été arrêtées, selon le centre de défense des droits de l’homme Viasna. L’opposition en exil a encouragé ses partisans à invalider les bulletins de vote en votant à la fois pour et contre la nouvelle Constitution, et certains ont non seulement répondu à cet appel mais ont également ajouté des messages anti-guerre, comme le montrent des photos diffusées sur Internet.

La posture ambiguë de Loukachenko sur la guerre en Ukraine

Lorsque la Russie a envahi l’Ukraine le 24 février, le président biélorusse a d’abord reproché à l’administration ukrainienne de ne pas capituler face à un puissant État nucléaire. Il a mis en garde contre un bain de sang potentiel et a nié que son pays soit partie prenante au conflit, soulignant la non-participation des troupes biélorusses à l’invasion. Cependant, il s’est rapidement contredit en déclarant lors de la même réunion que ses forces militaires « seront là si nécessaire ».

Loukachenko ferme l’espace aérien de son pays et assure que « les capacités de l’OTAN se renforcent », Euronews, 24 février 2022.

Quelques jours plus tard, le 4 mars, lors d’un événement célébrant l’adoption de la nouvelle constitution, il a tenté de rassurer son cercle rapproché en affirmant qu’il n’enverrait pas de troupes biélorusses combattre en Ukraine. Il est vrai que la perception de la guerre en Biélorussie, un pays où une personne sur quatre a perdu la vie entre 1941 et 1944, est très différente de celle qui prévaut en Russie.

Un sondage réalisé par Chatham House entre le 20 janvier et le 9 février montre que la majorité des citadins biélorusses sont opposés à l’envoi de soldats en Ukraine, préférant que Minsk adopte une position neutre. Cela n’est guère surprenant dans un pays où beaucoup ont été traumatisés par la proximité des champs de bataille de la Seconde Guerre mondiale, selon le sociologue biélorusse Hienadz Korshunau. Si l’Ukraine est régulièrement discréditée à la télévision publique biélorusse depuis 2014, les attaques la visant sont nettement moins sévères en Biélorussie qu’en Russie.

Ces dernières semaines, Loukachenko a cherché à détourner l’attention de la population biélorusse de la guerre qui fait rage en Ukraine voisine en faisant diffuser d’innombrables festivités à la télévision aux heures de grande écoute. Ainsi, le 5 mars, il a pris part à une épreuve de ski et, le lendemain, les médias ont largement couvert une course à pied à Minsk à laquelle participaient 300 femmes. Le ministère de la Défense a de son côté publié une vidéo sarcastique mettant en scène des militaires biélorusses affirmant avec le sourire qu’ils se trouvaient bel et bien sur le territoire national et qu’il ne fallait pas croire les racontars laissant entendre qu’ils auraient été déployés ailleurs. Toutefois, ces tentatives de rassurer les Biélorusses n’ont probablement pas été couronnées de succès car les gens suivent de moins en moins les médias d’État.

Un médiateur encore moins impartial qu’auparavant

Compte tenu de l’enthousiasme très limité des Biélorusses pour la guerre, y compris parmi les propres partisans du président, l’organisation par Loukachenko de pourparlers de médiation les 28 février et 3 mars semble rationnelle. Cela lui donne également une marge de manœuvre vis-à-vis de Poutine : puisque l’homme fort de Minsk se pose comme le garant des négociations, il est justifié qu’il n’envoie pas de troupes en Ukraine.

Il n’en reste pas moins que même si Loukachenko cherche dans la mesure du possible à préserver un certain résidu d’indépendance à l’égard du Kremlin, il semble très improbable qu’il puisse, à court ou à moyen terme, se dégager de son alliance toujours plus étroite, avec la Russie.


Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 23 et 24 septembre 2022 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du Forum mondial Normandie pour la Paix.The Conversation

Ekaterina Pierson-Lyzhina, Chercheuse au Centre d‘étude de la vie politique (Cevipol) , Université Libre de Bruxelles (ULB)

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