Les chemins de la paix erreurs et succès
Conférence - Les chemins de la paix : erreurs et succès
Forum mondial Normandie pour la Paix 2019
Date : 5 juin 2019

 

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Les infox, ces fausses informations publiées sur Internet, sont devenus de véritables armes de déstabilisation politique et géopolitique. Que faire pour s'en protéger? Comment les médias et les gouvernements répondent-ils à cette nouvelle menace? 

  • Les chemins de la paix: erreurs et succès

Les processus qui mènent vers la paix ne connaissent pas tous les mêmes résultats. Accords de paix avortés ou inefficaces, réminiscences d’affrontements pendant des décennies ou encore médiations impossibles démontrent que certains chemins vers la paix conduisent à des impasses. Usage unilatéral de la force, absence d’accompagnement post-conflit, manque d’implication des sociétés civiles, ces erreurs appellent-elles la construction de nouvelles méthodes de résolution des conflits? A l’inverse, le multilatéralisme est-il toujours gage de succès et d’efficacité ? Entre erreurs et succès, comment fabrique-t-on la paix ?

  • Présentation du rapport annuel de leaders pour la paix

Le président de Leaders pour la Paix, Jean-Pierre Raffarin présentera le rapport annuel de son ONG.
 

 

Synthèse de la conférence

Introduction par Nicole Gnesotto, Professeure, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)
Modérateur : Marc Semo, Journaliste, Le Monde
Intervenants : Henri Bentégeat, ancien Chef d’état-major des Armées françaises ; Pierre Buyoya, ancien Président de la République du Burundi, Haut représentant de l’Union africaine pour le Mali et le Sahel ; Kabiné Komara, ancien Premier Ministre de Guinée ; Jean-Pierre Lacroix, Secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix, ONU ; Rémy Rioux, Directeur de l’Agence Française de Développement

Les chemins de la paix ont toujours été labyrinthiques et imparfaits, comme le souligne Nicole Gnesotto. Les alliances nouées par les États pour assurer l’équilibre des forces sont par définition temporaires, tandis que les systèmes de sécurité collective se heurtent aux divergences d’intérêts des parties prenantes. 

Si, paradoxalement, le maintien de la paix, « ce rêve suspendu » de Kofi Annan, nécessite souvent une intervention militaire, cette dernière n’est pas une fin en soi et doit s’inscrire dans le cadre d’un processus d’intervention long et multi factoriel.


Une volonté politique de promouvoir la paix ?

Alors que la communauté internationale est divisée, il est de plus en plus difficile d’obtenir un mandat du Conseil de sécurité de l’ONU pour mener des opérations de maintien de la paix. Jean-Pierre Lacroix cite les exemples frappants de la Syrie et de la Lybie, laissées à leur sort faute de consensus sur la légitimité d’une intervention, au risque de déstabiliser le Moyen-Orient.

En outre, la mondialisation a complexifié le jeu des alliances : le partenaire économique d’un pays peut être aussi son ennemi stratégique, et les intérêts économiques qui primaient la veille peuvent être supplantés le lendemain par des intérêts politiques, bouleversant les équilibres établis. Pourtant, la paix doit être portée par une volonté politique, constate Jean-Pierre Lacroix, d’autant qu’il s’agit d’un processus long et coûteux, comme le souligne Nicole Gnesotto.

Au-delà de l’ONU, d’autres échelles d’intervention existent, comme cela peut être observé avec l’Union africaine. Cette dernière est née de la volonté des pays africains de promouvoir la sécurité collective de leur continent. Au regard du constat selon lequel les crises sont souvent générées par l’exclusion des minorités, elle a promu une « charte pour la démocratie, la bonne gouvernance et les droits de l’Homme ». L’Union africaine s’est également dotée d’outils de médiation et de prévention des crises, le Conseil de paix et de sécurité, chargé de la gestion des conflits au quotidien et le Conseil des sages, composé de personnalités chargées de missions de médiation à travers le continent. Elle participe aux opérations de maintien de la paix, comme au Mali, à l’instar de l’ONU, et veille ensuite à la consolidation de la paix.


L’intervention militaire est-elle encore pertinente ?

Jean-Pierre Lacroix rappelle qu’au cours des dernières années, les opérations de maintien de la paix de l’ONU ont participé à la stabilisation de nombreux pays, comme la Côte-d’Ivoire, le Libéria, l’Angola ou le Cambodge. En revanche, de nombreuses interventions n’ont pas permis d’instaurer une paix durable.

Pour autant, à la question « faut-il pour autant se résoudre à l’inacceptable ? », le général Henri Bentégeat répond par la négative et affirme que la France doit se sentir libre d’intervenir. Selon lui, il est toutefois nécessaire de répondre à quelques questions préalables : quelle est la légitimité de l’intervention ? Quelles sont ses finalités ? Comment instaurer une paix durable suite à l’intervention militaire ? Comment éviter de se laisser conduire par l’émotion et analyser finement la situation, en termes de motivation des acteurs, de mode d’action ou encore de ramifications potentielles de la crise, avant d’intervenir ? Comment prendre le temps d’une intervention efficace face à la pression médiatique ? Cette grille d’analyse doit permettre de poser le cadre d’une intervention légitime et proportionnée.

 

De quelle manière intervenir, sachant que l’action militaire n’est pas une fin en soi ?

L’intervention militaire n’aboutit pas toujours au résultat escompté. Le maintien de la paix au Mali en est l’exemple : bien que nécessaire, il n’apporte pas de solution pérenne au pays, selon Pierre Buyoya. À l’inverse, la réconciliation franco-allemande à l’issue de la Seconde Guerre mondiale représente un modèle de processus de paix inclusif, qui a permis à l’Europe de renouer avec la stabilité et la prospérité, grâce au dialogue noué entre ex-belligérants et aux investissements massifs qui ont été consentis.

S’ils servent souvent de force d’interposition, les Casques bleus de l’ONU multiplient les interventions multidimensionnelles, en se faisant soutien de la reconstruction d’un État, en protégeant les civils et en créant ou recréant les capacités nationales, définies par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) comme « l’aptitude des individus, des organisations et de la collectivité dans son ensemble à gérer leurs affaires avec succès ». Les Casques bleus exercent leurs missions dans des conditions de plus en plus difficiles. En effet, alors que l’ONU mène quatorze opérations de maintien de la paix et a déployé 100 000 personnes sur le terrain, dont 80 000 militaires, ses Casques bleus sont devenus des cibles prioritaires pour certains belligérants, dont la vocation est de répandre une guerre dont les civils sont les premières victimes.

Pierre Buyoya pointe la limite de l’interventionnisme des organisations telles que l’ONU ou l’Union africaine, à travers l’exemple du conflit entre les Peuls et les Dogons au centre du Mali. Selon lui, l’échelle pertinente d’intervention et de médiation est le Mali lui-même. L’État malien doit reprendre la main sur des territoires trop longtemps abandonnés à la corruption, avec l’émergence des conflits liés à l’accès aux ressources naturelles, alimentés par les djihadistes.

 

La dimension économique, sociale et environnementale de la paix

D’après son expérience de terrain, Henri Bentégeat constate que la paix durable est conditionnée à la fois au maintien de la sécurité, à la bonne gouvernance et au développement.

Dans cet esprit, l’Agence Française de Développement a pour objectif de consolider la réconciliation des peuples via le développement économique. D’une manière générale, l’expertise de son réseau permet d’apporter des solutions englobant les dimensions économiques, sociales et environnementales.

Ces enjeux revêtent une importance cruciale dans la préservation et le maintien de la paix, comme le démontre Kabiné Komara, qui pointe les tensions existant entre l’Égypte, le Soudan et l’Éthiopie depuis un siècle autour du Nil, la concomitance entre la raréfaction de l’eau sur le lac Tchad et l’émergence des conflits sur ce territoire ou la monopolisation de l’eau du fleuve Arizona par les États-Unis au détriment du Mexique. La situation au Sahel est également un bon exemple, car elle est déterminée par des phénomènes comme le changement climatique, l’explosion démographique ou encore les conflits croissants entre éleveurs et fermiers.

 

La paix, une démarche partenariale

Face à ces constats, Jean-Pierre Lacroix préconise une approche globale et une action intégrée, en collaboration avec les agences de développement et les agences humanitaires, ainsi que la recherche de coalitions.

Cette approche globale crédibilise l’action des partenaires internationaux auprès des populations, auxquelles ils assurent la fourniture des services de base, et permet de favoriser la stabilité politique à long terme. Rémy Rioux confirme également l’efficacité d’une action conjointe des diplomates, militaires et développeurs.

Tout processus de paix est complexe et multifactoriel, d’où la nécessité qu’il s’inscrive dans le cadre d’une démarche partenariale, inclusive et sur le temps long. Ces conditions sont particulièrement difficiles à réunir dans le contexte actuel d’exacerbation des divisions de la communauté internationale, mais, comme le souligne Jean-Pierre Lacroix, « il est toujours possible de prendre un chemin de traverse vers la paix ! »