Synthèse du débat organisé à l'occasion du Forum Normandie pour la Paix 2019.
Modératrice : Mathilde Boussion, Journaliste indépendante
Intervenants : Jérôme Delay, Chef photo Afrique, Associated Press ; Maria Malagardis, Journaliste, Libération Sonia Rolley, Journaliste, RFI

La République démocratique du Congo (RDC), deuxième plus grand pays d’Afrique après l’Algérie, s’avère extrêmement riche en minerais et fertile d’un point de vue agricole, mais manque cruellement d’infrastructures. Les conflits s’y succèdent depuis l’Indépendance déclarée en 1960, mais le départ sans violence du Président Kabila, au pouvoir depuis dix-sept ans, marque peut-être le début d’une nouvelle ère.

Si les élections ne se sont pas déroulées dans des conditions démocratiques exemplaires, le nouveau Président, Félix Tshisekedi, issu de l’opposition, a néanmoins appelé à la constitution d’une coalition avec le parti de Joseph Kabila au moment de la proclamation des résultats. Dans ce contexte, aura-t-il les moyens de mettre en oeuvre sa propre politique ?

Durant la période électorale, tous les journalistes présents en RDC craignaient une explosion de violence. Or, malgré les difficultés opérationnelles, voire les entraves qui ont caractérisé les opérations électorales, la mobilisation et la patience des électeurs ont été une vraie surprise pour les observateurs internationaux. Certaines provinces n’ont toutefois pas pu prendre part au vote, soit en raison de la présence de groupes armés, soit du fait de l’épidémie d’Ebola. Pourtant, alors qu’en 2006, Kinshasa avait été le théâtre de véritables scènes de guerre avant même la publication des résultats, et que les élections de 2011 avaient été marquées par une semaine de violence postélectorale, pour la première fois en 2018, Sonia Rolley a pu constater l’absence de toute violence, malgré un résultat très contesté. Selon Jérôme Delay, il semblerait que le parti au pouvoir ait orienté le scrutin afin de faire gagner le parti d’opposition historique, considérant sans doute que son candidat était « le plus contrôlable ». Cette situation incongrue s’explique aussi par une forme de prise de conscience de Joseph Kabila, mais surtout par « la fatigue du peuple », après tant d’années perdues en conflits. Pour Maria Malagardis, le départ de l’ancien Président était probablement encore plus important que l’identité de son successeur dans l’esprit des citoyens. En outre, la féroce répression des précédentes manifestations ne pouvait que décourager les Congolais de descendre dans la rue pour réclamer la vérité des urnes.

De plus, la République démocratique du Congo a vécu le génocide rwandais de très près, puisque deux millions de Rwandais, dont des génocidaires, ont alors traversé la frontière pour s’installer dans l’est de la RDC. Au sein des camps de réfugiés, les génocidaires rwandais se sont rassemblés en groupes armés et ont cherché à se couvrir en s’alliant à la rébellion congolaise de Laurent Désiré Kabila, père de Joseph Kabila. « Une période de dix années de crimes » a alors débuté, explique Sonia Rolley, générant plus de six cent crimes de guerre et contre l’humanité documentés par l’ONU dans son Mapping Report, sorti en 2010.

À ce jour, ces groupes armés demeurent très actifs. Bien qu’instrumentalisés par les pays voisins, ils prétendaient, suite au génocide, avoir des revendications politiques, qu’ils ont d’ailleurs souvent marchandées pour pouvoir entrer dans l’armée ; désormais, ils fonctionnent bien davantage comme des associations mafieuses criminelles, impliquées avant tout dans les trafics de métaux, le racket et les enlèvements de commerçants. La population s’inquiète d’ailleurs beaucoup de leur implantation à Goma, ville quasiment assiégée, en situation d’urgence humanitaire flagrante. Pour autant, « la réponse humanitaire n’est pas la bonne », selon Maria Malagardis : en effet, le travail des ONG, malgré son importance, a jusqu’à présent conduit à reconstituer, de manière très frappante, d’un côté la ville coloniale et de l’autre, la cité africaine.

Les groupes armés se sont tellement morcelés avec le temps que l’insécurité constitue désormais une réalité dans tout le pays, mais la principale insécurité continue de provenir des forces de sécurité du pays, aux yeux de Sonia Rolley : d’après les données de l’ONU, plus de 60 % des violations des droits de l’Homme sont, sur l’ensemble du territoire, le fait d’agents de l’État. Certes, les noms de ces militaires ne figurent pas dans les rapports de l’ONU, mais il s’agit toujours des mêmes individus. Le Ministre du Développement lui-même a ainsi publiquement annoncé que s’il devenait gouverneur du Sud-Kivu, il serait en capacité de ramener, en ville, tous les groupes armés placés sous son autorité. Un autre élément atteste de la complicité entre l’État et les groupes armés d’après Maria Malagardis : alors que l’embargo sur les armes n’a été levé que pour les forces de sécurité, leur arsenal se trouve actuellement dans les mains des groupes armés et autres milices.

Ainsi, un point central de la sortie de crise aux yeux des intervenants sera la lutte contre l’impunité, qui doit constituer une priorité en République démocratique du Congo.

 

Interventions du public

Trois éminentes personnalités ont assisté à ce débat, apportant leur vision sur la situation en République démocratique du Congo.

Le Docteur Denis Mukwege, Prix Nobel de la Paix 2018, de nationalité congolaise, s’indigne de l’utilisation du viol comme arme de guerre en RDC. Dans son hôpital, il a recueilli le témoignage de nombreuses femmes victimes de violences sexuelles perpétrées par des membres de groupes armés, qui entretiennent des liens directs avec certains membres du gouvernement. C’est pourquoi il dénonce, à propos de la situation de l’Est de la RDC, un « chaos organisé par le gouvernement de Kinshasa et par les pays voisins », au profit économique de quelques individus. La complicité de l’État lui paraît évidente.

Denis Mukwege estime que la paix ne saurait se construire sans justice. Ainsi, il considère que l’ONU doit jouer son rôle en RDC en tant qu’instance supranationale, afin de condamner les auteurs des crimes contre l’humanité, qui ne sont pas tous de nationalité congolaise.

Pierre Buyoya, ancien Président de la République du Burundi, Représentant de l’Union africaine pour la sécurité au Sahel, s’est attaché à rappeler que l’ONU est déjà largement intervenue en République démocratique du Congo, sans pour autant relever les défis complexes qui affectent le pays.

Selon Jean-Marie Guéhenno, ancien Secrétaire général adjoint au Département des opérations de maintien de la paix de l’ONU, la présence des Casques bleus en RDC « limite le chaos » et leur retrait serait imprudent. Pour autant, il considère que la perte de crédibilité de l’ONU en République démocratique du Congo ne lui permet plus de conduire le pays vers une solution politique, qui ne pourra être portée que par les Congolais eux-mêmes.