Ecrit par Marianne Péron-Doise, Chercheur Asie du Nord et Sécurité maritime Internationale, chargé de cours Sécurité maritime, Sciences Po
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.

Fact check US : Donald Trump a-t-il apaisé les tensions avec la Corée du Nord ?

Marianne Péron-Doise, Sciences Po

Au cours de la campagne présidentielle, Donald Trump a affirmé que le président Obama lui avait laissé une situation très dangereuse avec la Corée du Nord qui aurait même pu conduire à une guerre. Selon ses dires, lui aurait au contraire contribué durant son mandat à apaiser les tensions entre les États-Unis et le régime nord-coréen en raison des relations personnelles qu’il a su créer avec son jeune dirigeant, Kim Jong‑un. Dès 2018, Donald Trump s’était d’ailleurs vanté sur Twitter d’avoir réglé le problème. À l’issue de sa première entrevue avec son homologue nord-coréen à Singapour, il déclarait en effet sur le réseau social :

« Le président Obama disait que la Corée du Nord était notre plus gros et plus dangereux problème. Ce n’est plus le cas – dormez bien ce soir ! »

Toutefois, si on peut admettre que Donald Trump a évité une crise majeure avec la Corée du Nord, il n’a pas su empêcher que celle-ci développe ses capacités nucléaires et balistiques et s’affirme, de fait, comme la cinquième puissance nucléaire du continent asiatique, après la Chine, la Russie, l’Inde et le Pakistan.

Donald Trump, paradoxal « faiseur de paix » sur une péninsule nucléarisée

Comme souvent s’agissant de Donald Trump, il y a une part de véracité dans ses déclarations. La situation lui permet de se positionner à son avantage, comme un pacificateur, et même de songer à recevoir un prix Nobel comme le président Obama avant lui. En 2019, il n’hésitait pas à faire mention des propositions de nomination qu’auraient formulées en sa faveur le premier ministre japonais d’alors, Shinzo Abe, suivi par le président sud-coréen Moon Jae-in. Ceux-ci saluaient ainsi l’initiative, il est vrai courageuse et inattendue, d’un dialogue direct avec Kim Jong‑un et de rencontres « au sommet ». La rencontre de Singapour entre les deux dirigeants en juin 2018 avait en effet marqué les esprits par son caractère spectaculaire et prometteur. Elle mettait notamment fin à une escalade verbale déclenchée à l’été 2017, lorsque Donald Trump avait menacé de déchaîner « le feu et la fureur » et que son état-major n’écartait pas une option militaire contre la Corée du Nord.

Pour autant, la diplomatie « des sommets », aussi novatrice qu’elle ait pu paraître, n’a pas eu plus d’effet que les stratégies mises en œuvre avant elle, dont la « patience stratégique » de l’administration Obama, qui attendait que le régime s’effondre sous le poids des sanctions pour obtenir une dénucléarisation complète, vérifiable et irréversible de la Corée du Nord. Si Donald Trump a évité un conflit, il n’a pu empêcher qu’au terme de six essais nucléaires et de nombreux tirs de missiles balistiques jusqu’en 2017, la Corée du Nord revendique un statut de puissance nucléaire et dispose de capacités de dissuasion crédibles. À ce titre, elle reste une menace réelle et persistante tant pour les États-Unis, dont le territoire n’apparaît plus guère à l’abri de tirs nord-coréens de missiles balistiques intercontinentaux, que pour leurs deux plus proches alliés sud-coréens et japonais.

Le nucléaire nord-coréen, outil de dissuasion

Au demeurant, les motivations nucléaires de la Corée du Nord ont pu varier au cours du temps, sans que les administrations américaines successives ne se donnent les moyens de les comprendre. Lorsque le régime de Kim Jong-il effectue son premier essai souterrain en 2006, il le justifie par la « menace nucléaire » et les pressions exercées par l’administration Bush. Celle-ci vient de le labelliser « membre de l’axe du mal » aux côtés de l’Irak et de l’Iran dans le célèbre discours sur l’état de l’Union du président Bush en 2002. Après l’invasion de l’Irak et l’exécution de Saddam Hussein en 2006, George Bush est fortement soupçonné par Pyongyang de vouloir faire de même en Corée du Nord en provoquant un changement de régime par la force. Cette suspicion et le manque de confiance réciproque expliquent en partie les aléas des Pourparlers à Six, un mécanisme de dialogue multilatéral rassemblant les six pays riverains de la péninsule coréenne mis en place en 2003. Tout en tergiversant, la Corée du Nord avait accepté le principe d’une dénucléarisation progressive, action par action, et exigé la construction d’un réacteur à eau légère et le versement d’un million de tonnes de fuel lourd. Elle s’en retirera en 2009, non sans avoir obtenu la livraison de 550 000 tonnes de fuel lourd de la part des États-Unis.

En mai 2009, un second tir nucléaire nord-coréen intervient après le lancement d’un satellite qui se révèle être un missile balistique, déclenchant un nouveau cycle de sanctions. On peut alors penser, comme l’administration Obama, qu’il s’agit de la poursuite d’une politique de provocation pour obtenir des concessions selon un cycle plus ou moins identifié : provocations, sanctions, négociations, concessions. L’arrivée de Kim Jong‑un à la tête du pays en 2011 voit le nucléaire devenir un outil de puissance et un marqueur identitaire du régime alors que celui-ci renforce ses capacités opérationnelles par des campagnes de tirs accélérées. Le nationalisme nucléaire de la Corée du Nord répond à un besoin tout autant politique que stratégique. Au plan intérieur, il renforce la légitimité et donc la pérennité du régime et au plan extérieur, il remplit une fonction de dissuasion face aux États-Unis et ses alliés sud-coréens et japonais qui ont, tous trois, renforcé leur défense antimissile.

D’Obama à Trump, les limites d’une politique de pressions maximales et de sanctions

À peu de variantes près, l’objectif d’une dénucléarisation de la Corée du Nord, largement popularisé sous son acronyme anglais CVID, pour « Complete, Verifiable, Irreversible Denuclearization », a constitué le mantra indépassable des politiques nord-coréennes des États-Unis depuis George W. Bush en 2001 jusqu’aux présidents Obama et Trump. Leur manque de flexibilité et l’impact de facteurs régionaux – dont le facteur chinois – en expliquent les échecs passés et sans doute à venir. En effet, si la Corée du Nord a pu se montrer disposée à accepter un processus de dénucléarisation, dans son esprit celui-ci devait être progressif, englober toute la péninsule coréenne, c’est-à-dire impliquer le retrait des troupes américaines présentes, et s’assortir de robustes garanties de sécurité de la part des États-Unis, notamment la signature d’un traité de paix.

On se rappelle que lors de la signature de l’Accord dit du Cadre Agréée en 1994 entre l’administration Clinton et la Corée du Nord de Kim Il-sung, grand-père de l’actuel dirigeant, la première s’engageait sur la construction de réacteurs à eau légère pour fournir à Pyongyang l’électricité nécessaire à son développement en échange du gel de son programme nucléaire alors embryonnaire. Au demeurant, la Corée du Nord n’a jamais entériné ce concept de dénucléarisation, lui préférant celui de démantèlement. Ce qui, dans son esprit, peut aboutir à déclasser et fermer certains sites, notamment celui de Yongbyon, sans pour autant renoncer à ses capacités nucléaires.

Déjà, en 2018, au lendemain de la première rencontre de Singapour entre un Donald Trump triomphant affirmant que le processus de dénucléarisation allait commencer « très vite » et son homologue nord-coréen, l’accord signé entretenait l’ambiguïté sur les perspectives d’une dénucléarisation sur laquelle les deux parties avaient une conception très différente. D’après le document commun, l’objectif de cette rencontre était « l’établissement de nouvelles relations » entre les deux pays et l’instauration d’un « régime de paix solide et durable sur la péninsule coréenne ». Pour ce faire, le président Trump s’engageait à fournir des « garanties de sécurité » à la Corée du Nord dont le dirigeant réaffirmait son « engagement ferme et inébranlable envers la dénucléarisation complète de la péninsule coréenne ». Faute de mieux, des gestes symboliques ont été faits. En réponse au moratoire sur les essais nucléaires observé par Pyongyang, à sa propre initiative, Donald Trump avait ainsi suspendu ou réduit l’ampleur de certaines manœuvres militaires américano-sud-coréennes, comme Ulchi Freedom Guardian, annulées en septembre de la même année.

En 2019, une nouvelle rencontre à Hanoï révèle clairement le malentendu et tourne au fiasco, chacun protestant de sa bonne foi. Donald Trump a assuré que Kim Jong‑un souhaitait la levée de toutes les sanctions pesant sur son pays en contrepartie du démantèlement, déjà promis par le passé, de la centrale de Yongbyon. La partie nord-coréenne, pour qui le développement économique du pays est une priorité essentielle, a affirmé, quant à elle, n’avoir demandé, en échange de l’arrêt de la centrale, qu’une levée partielle des sanctions affectant le plus durement la population.

Quelques mois plus tard, la rencontre impromptue de Panmunjom entre les deux dirigeants, dans le périmètre de la zone démilitarisée (Demilitarized Zone, DMZ), entretient l’illusion qu’une négociation peut encore aboutir. Sur son compte Twitter, Donald Trump insiste en vain sur les avantages économiques qu’apporterait la dénucléarisation. S’accrochant aux perspectives d’une reprise du dialogue, en pensant que sa politique de maintien des sanctions fonctionnerait, la partie américaine a soigneusement évité tout au long de l’année 2019 et jusqu’en 2020 de renchérir sur les provocations nord-coréennes de tirs de missiles de courte portée.

Au final, Donald Trump a clairement échoué à faire du règlement de la question nucléaire nord-coréenne un succès personnel dû à ses talents de négociateur et à la proximité créée avec le dirigeant nord-coréen. En dépit de contacts directs et de l’envoi régulier de lettres – ils s’en seraient adressé 25 selon le journaliste américain Bob Woodward –, la personnalisation de leur relation, jouée ou réelle, s’est heurtée au réalisme stratégique nord-coréen. Si une guerre avec la Corée du Nord a été évitée, le pays dispose de capacités nucléaires et, en dépit des sanctions et de la pandémie, se serait doté de nouveaux missiles balistiques intercontinentaux. L’un de ceux-ci, aux proportions impressionnantes, porté sur un véhicule de 13 essieux a été complaisamment exposé lors de la grande parade militaire nocturne organisée à Pyongyang le 10 octobre 2020. Des questions se posent sur son opérationnalisation. Faut-il s’attendre à une nouvelle campagne de tirs nord-coréens en 2021 ?


Cet article a été réalisé avec la collaboration de Bessma Sikouk de l’École supérieure de journalisme de Lille (ESJ Lille).

La rubrique Fact check US a reçu le soutien de Craig Newmark Philanthropies, une fondation américaine qui lutte contre la désinformation.The Conversation

Marianne Péron-Doise, Chercheur Asie du Nord et Sécurité maritime Internationale, chargé de cours Sécurité maritime, Sciences Po

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