Ecrit par Sarah Daoud, Doctorante en science politique (mention relations internationales), Sciences Po – USPC.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.

Après maints atermoiements, le « deal du siècle », dont le volet économique avait été présenté à Manama en juin 2019, a finalement été dévoilé à Washington le 28 janvier dernier. En compagnie du premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou, mais aussi, fait notable, des représentants d’Oman, de Bahreïn et des Émirats arabes unis, le « démiurge » Trump est ovationné.

Alors que la Knesset devait se prononcer sur la demande d’immunité parlementaire de Nétanyahou, accusé de corruption, fraude et abus de confiance, l’annonce américaine tombe à pic pour ce dernier. En outre, les négociations israélo-palestiniennes, en berne depuis l’échec de la conférence d’Annapolis en 2007, se voient, par la même, réinscrites à l’agenda international.

Toutefois, on peut à juste titre douter d’une reprise prochaine des discussions entre Israéliens et Palestiniens sur la base de ce « deal », dans la mesure où celui-ci expose une « solution » au mépris des droits et revendications historiques des Palestiniens. Signe évident de ce mépris, l’absence des Palestiniens à la Maison Blanche le 28 janvier. Pour autant, cette annonce n’a pas manqué de susciter des réactions côté palestinien ; une thématique notamment, qui avait été quelque peu délaissée, revient dans les discours de chacun : l’impératif de réconciliation nationale.

Des querelles et rivalités politiques insurmontées

L’année 2019 s’achevait sur des interrogations restées en suspens quant à l’avenir de la politique intérieure palestinienne. Au cœur des débats, la question des élections. En effet, le président Abbas avait annoncé à la tribune des Nations unies en septembre 2019 la tenue prochaine d’élections législatives et présidentielles. Depuis, le décret présidentiel censé officialiser le processus se faisait attendre ; l’Autorité palestinienne affirmait ne pas encore avoir obtenu l’autorisation israélienne d’organiser un scrutin à Jérusalem-Est, sans laquelle les élections n’auraient pas lieu. Le « deal » américain reconnaissant Jérusalem comme capitale unie et indivisible de l’État d’Israël, il est peu probable que les Israéliens donnent un blanc-seing au président palestinien.

Mais en réalité, l’ultimatum posé par ce dernier à propos de la question de la participation des citoyens de Jérusalem annonçait l’échec des factions politiques palestiniennes à parvenir à un consensus sur la tenue des élections. Rappelons, à ce titre, le caractère morcelé de l’échiquier politique palestinien, en particulier depuis les dernières élections législatives en 2006, remportées par le Hamas, qui ont entraîné le fameux épisode de la « division » ou du « coup » de juin 2007 au cours duquel le parti islamiste a de facto pris le contrôle de la bande de Gaza.

Depuis, les cycles de négociations se sont multipliés en vue d’obtenir une réconciliation entre les deux principales factions rivales, Hamas et Fatah. En 2011, un accord est signé au Caire par toutes les factions politiques ; celui-ci prévoit notamment l’organisation d’élections générales et la formation d’un gouvernement d’union nationale. Les parties réitèrent leur engagement en 2017, en vain. Ces accords n’ont jamais été appliqués.

Une injonction à l’apaisement plutôt qu’à la réconciliation

Bien que l’« absence de volonté politique » des deux parties en conflit soit souvent pointée comme source principale de l’échec des négociations, il semblerait aussi que la réconciliation intra-palestinienne soit devenue une question secondaire. L’interruption des contacts officiels entre Fatah et Hamas depuis mars 2018, suite à la tentative manquée d’attentat contre le premier ministre palestinien de l’époque en visite à Gaza, a certes rendu caduques les conditions de poursuite des négociations. Mais force est également de constater que les négociateurs en présence, notamment les « médiateurs » égyptiens, font preuve d’une certaine complaisance vis-à-vis du simulacre désormais caractéristique des négociations de réconciliation.

Le dossier palestinien est historiquement l’apanage des services de renseignement égyptiens (Al-Mukhabarat al-Amma), lesquels endossent un rôle qui ne correspond pas à celui de médiateur stricto sensu mais plutôt à celui de « médiateur-partenaire ». L’Égypte considère en effet que ses intérêts sont directement engagés, surtout en ce qui concerne l’apaisement entre Gaza et Israël. D’où les avancées significatives enregistrées dans ce domaine, une priorité pour l’Égypte comme pour Israël. Notons par ailleurs l’essor des relations diplomatiques, économiques et sécuritaires du couple israélo-égyptien, comme en témoigne la conclusion récente d’un accord majeur d’importation de gaz israélien par Le Caire.

Un risorgimento palestinien… et après ?

La lettre de Mohammed Dahlan à Mahmoud Abbas, 28 janvier 2020. Mohammed Dahlan/Facebook

La position ambivalente de l’Égypte est emblématique du désintérêt ou de la lassitude des capitales arabes vis-à-vis de la « question palestinienne ». Malgré la tenue d’une réunion d’urgence de la Ligue arabe dans la foulée de l’annonce du « deal » américain, plusieurs représentants palestiniens ont regretté l’absence de condamnations claires et fermes de ce dernier par les dirigeants arabes. Par conséquent, dans l’immédiat, une issue semble être envisagée côté palestinien : se montrer conciliants afin d’initier un dialogue interne direct. C’est ce que plusieurs cadres politiques appellent de leurs vœux. Quelques heures avant de découvrir le projet israélo-américain, Mohamad Dahlan, opposant et rival du président Mahmoud Abbas, adressait une lettre ouverte à ce dernier, l’exhortant à unifier la maison palestinienne. Par ailleurs, toutes les factions furent conviées le soir même lors du discours du président Abbas réagissant à la nouvelle, et une délégation pluri-partisane devrait se rendre prochainement à Gaza.

Le « deal du siècle » a eu l’effet d’un électrochoc sur la scène politique palestinienne, spécialement dans le cadre du processus de réconciliation. Cette fois-ci, les dirigeants, sous forte pression de l’opinion publique, n’ont pas le droit à l’erreur. Des manifestations de colère secouent les Territoires palestiniens depuis le 28 janvier ; en outre, plusieurs activistes, notamment gazaouis, à l’origine des mouvements « Bedna naish » (« Nous voulons vivre »), « Bedna kahraba » (« Nous voulons de l’électricité ») ou encore dernièrement « Bedna intikhabat » (« Nous voulons des élections »), se montrent particulièrement prolifiques sur les réseaux sociaux.

Dépasser les divisions politiques et parvenir à une entente nationale serait donc un bon début ; reste à savoir sur quelle base territoriale ce pouvoir politique unifié s’établirait. Nous sommes là face à une contradiction apparente : une telle union ne peut vraisemblablement se maintenir sur des territoires palestiniens marqués par une extrême fragmentation que le plan Trump prévoit en outre d’exacerber.The Conversation

 

Sarah Daoud, Doctorante en science politique (mention relations internationales), Sciences Po – USPC

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.