Ecrit par Valérie Rabassa, Économiste et enseignante à l'EMLV, Pôle Léonard de Vinci – UGEI et Béatrice Durand-Mégret, Enseignant-chercheur, responsable des filières Marketing Innovation et Distribution, Pôle Léonard de Vinci – UGEI.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.

Début janvier 2020, avec plus de 13,5 % de baisse, la pandémie du Covid-19 provoquait en Chine la plus forte chute de la production industrielle de son histoire contemporaine.

À l’instar de la peste de Justinien, première pandémie de l’histoire venue d’Asie centrale qui frappa sanitairement et économiquement l’empire romain et byzantin en 541 apr. J.-C., la pandémie du Covid-19 a fortement ébranlé les économies mondiales.

De par le poids économique de la Chine – près de 20 % du produit intérieur brut (PIB) mondial et son intégration de plus en plus importante aux autres économies mondiales – cette situation inédite et exceptionnelle a engendré des répercutions sanitaires et sécuritaires majeures mais également économiques à travers les marchés et les chaînes de valeur de plus en plus globalisées qui représentent d’ores et déjà plus de 2/3 du commerce mondial.

En quelques semaines les économies mondiales se sont retrouvées au bord du gouffre engendrant un chômage massif sans pareil ainsi que des perspectives de croissance mondiale catastrophiques. Cette crise inégalée et à ce jour non jugulée a mis particulièrement en exergue la fragilité des économies mondiales vis-à-vis de la Chine en matière de chaînes d’approvisionnement logistiques ou de supply chains dans un contexte d’incertitude généralisé.

Elle pose ainsi le problème de leur dépendance mais également de leur gestion de crise qui appelle à repenser, à réorganiser et à transformer de manière stratégique et durable leurs chaînes d’approvisionnement.

Une production mondiale à l’arrêt

Le 17 mars 2020, le très officiel Bureau national des statistiques de la République populaire de Chine annonçait un plongeon de la production industrielle chinoise qui donne le vertige. Cette forte baisse de l’offre en Chine a alors engendré une baisse massive des exportations de produits industriels chinois de plus de 19,2 % en janvier et février 2020.

Cette chute s’est rapidement répercutée aux réseaux de transport logistiques comme le fret aérien mais également le fret maritime qui se sont effondrés, avec, pour la première fois de leur histoire, des prix négatifs pour les très gros containers et cargos.

Répartition des pays selon leur niveau de dépendance à la production et aux exportations chinoises (en pourcentage). Rapport Dun & Bradstreet « Business Impact of the coronavirus »

Les supply chains au niveau mondial se sont donc retrouvées rapidement fragilisées, mettant ainsi fortement en lumière leur dépendance vis-à-vis de leurs fournisseurs chinois dits de rang 1, 2, etc. Selon le rapport de Dun & Bradstreet sur l’impact du Covid-19 sur les chaînes de valeur globale « plus de respectivement 51 000 et 5 millions d’entreprises, ont un ou plusieurs fournisseurs directs ou de niveau 1 et de niveau 2, localisés dans les régions chinoises fortement impactées par le Covid-19. »

Par contagion, à l’instar des groupes automobiles et équipementiers mondiaux comme Hyundai, PSA, Fiat, Michelin et General Motors, de nombreuses industries comme le géant de l’aéronautique Airbus, ont mis leurs lignes de production à l’arrêt. Les entreprises de la Tech ont également souffert ponctuellement de cette dépendance vis-à-vis de leurs fournisseurs chinois à l’image du géant Apple qui a vu fondre sa capitalisation boursière de plus de 30 % en moins d’un mois (bien qu’il ait récupéré le titre de première capitalisation boursière mondiale depuis).

Du côté de la demande, la pandémie a provoqué une chute spectaculaire de plus de 20,5 % des ventes au détail des biens de consommation en Chine en janvier et février, contrairement aux ventes en ligne qui ont continué à croître.

Évolution des ventes au détail de biens de consommation en Chine entre juin 2019 et juin 2020. Bureau national des statistiques de Chine

Par répercussion, la demande mondiale de bien au détail s’est effondrée contrairement aux ventes en ligne dans certains secteurs comme les produits alimentaires, sanitaires et technologiques, qui ont littéralement explosé.

Au deuxième trimestre 2020, à l’instar de la Chine, l’offre et la demande mondiale sont péniblement reparties à la hausse sans toutefois retrouver leur niveau d’avant crise reflétant ainsi les nombreuses incertitudes quant à l’ampleur et à la durée de la crise traversée.

Face à ce nouveau paradigme mondial caractérisé par de nombreuses incertitudes sur l’offre et la demande mais également par de fortes asymétries d’information inhérentes aux supply chains globalisées – les délais de livraison, l’état des stocks, etc. – il apparaît vital de repenser une stratégie de gestion de crise de manière durable.

Des chaînes plus réactives et plus efficaces

Cette nouvelle stratégie des supply chains doit prendre en compte de nouveaux aléas sanitaires et sécuritaires qui vont bien au-delà des aléas traditionnels tels la volatilité des marchés ou les ruptures d’approvisionnement logistiques. Elle devient essentielle en termes de réactivité – côté demande – et d’efficacité – côté offre – dans un contexte d’incertitudes globalisées

Plusieurs pistes de réflexion émergent pour les entreprises et opérateurs de supply chains pour sa mise en œuvre.

Tout d’abord, construire des supply chains régionales au plus proche des consommateurs et des clients avec une réflexion sécuritaire importante de diversification des fournisseurs et de chaque maillon de la chaîne de valeur.

Rexel et Schneider Electric, leaders mondiaux dans le secteur de la fourniture de matériel électrique, ont, par exemple, accéléré la reconfiguration et la diversification de leurs chaînes d’approvisionnement au niveau régional, suite au Covid-19, pour pallier tout risque de rupture.

Face à la pandémie, la France et l’Union européenne ont ainsi de nouveau plaidé en faveur d’une relocalisation des productions industrielles et des chaînes de valeur stratégiques comme celle des médicaments où 80 % des ingrédients pharmaceutiques actifs, les composants essentiels du produit, sont fabriqués hors de l’Union européenne, dont 60 % en Chine et en Inde ou celle des composants électroniques où 80 % des circuits imprimés viennent de Chine.

Cependant, une réflexion plus globale s’impose pour les États membres de l’Union européenne sur les causes et les raisons des différentiels de compétitivité entre pays membres mais également sur les distorsions de concurrence et les problématiques d’accès au marché unique européen pour les pays tiers ne respectant pas les mêmes normes réglementaires que leurs concurrents européens.

Autre exemple, le Japon a amorcé une stratégie de sécurisation de ses chaînes d’approvisionnement industrielles fortement dépendantes des importations notamment en provenance de Chine. Le ministère de l’Économie, du Commerce et de l’Industrie (METI) japonais prévoit ainsi une enveloppe de 2,1 milliards d’euros, dédiée à la réorganisation des chaînes d’approvisionnement et incitant les industriels japonais à délocaliser une partie de leur production à l’étranger vers le Japon.

La deuxième piste consiste à s’appuyer sur des technologies digitales structurantes de gestion de crise comme la blockchain, l’intelligence artificielle (« IA »), ou l’internet des objets (« IoT ») et la robotique.

La crise du Covid-19 a souligné l’importance de l’approvisionnement et de la sécurisation des échanges. La technologie blockchain (chaîne de blocs) – qui permet le stockage et la transmission d’informations décentralisée sans organe de contrôle et fonctionne à l’aide d’une base de données distribuée qui contient l’historique de tous les échanges effectués entre ses utilisateurs depuis sa création – répond parfaitement à cette problématique à travers une meilleure transparence, traçabilité et visibilité des transactions tout au long de la supply chain.

Utilisée récemment dans l’industrie agroalimentaire par Walmart, Neslé ou dernièrement des producteurs de saumon norvégien associés à IBM, ou encore par Danish Crown, la technologie blockchain sécurise le consommateur quant à la provenance des produits et répond bien à une problématique de confiance. L’application française Meditech permet par exemple de lutter contre la prolifération de faux médicaments, solution prometteuse en période d’épidémie mondiale.

La blockchain permet ainsi un échange d’information fiable et sécurisé, réduit considérablement les risques et apporte une réponse concrète à la crise du Covid-19. Elle ouvre ainsi de nouveaux horizons pour les supply chains qui vont bien au-delà des marchés agroalimentaires.

Des robots et des hommes

L’IA, l’IoT et la robotique répondent également parfaitement à ce nouveau paradigme en améliorant la réactivité et l’efficacité des supply chains. En effet, elles favorisent la gestion et le monitoring en temps réel de la production, des stocks des entrepôts, de la logistique et de la distribution du dernier kilomètre ou encore de la maintenance, indispensables en tant de crises sanitaire et sécuritaire.

Par exemple, à travers une robotisation accrue de leurs entrepôts et de la livraison sous forme de drones, de robots autonomes ou de boîtes sécurisées directement accessibles aux clients, les géants du retail chinois JD.com et Alibaba ne s’y trompent pas et ont accéléré l’implémentation de ces technologies digitales pendant la pandémie.

Les robots de l’entreprise de e-commerce Alibaba réalisaient déjà 70 % du travail au sein des entrepôts en 2017.

Christine Lagarde, présidente de la banque centrale européenne indiquait lors des rencontres économiques d’Aix-en-Seine à Paris début juillet que « la crise devrait entraîner une contraction des chaînes d’approvisionnement de l’ordre de 35 % et une augmentation de la robotisation dans les industries de l’ordre de 70 à 75 % ».

Enfin, il apparaît important pour les supply chains de favoriser la résilience à un niveau global dans un monde où la stabilité économique, sanitaire et sécuritaire apparaît de plus en plus illusoire.

Les technologies digitales ainsi qu’un écosystème de proximité augmentent mécaniquement les capacités d’adaptation et de flexibilité des supply chains. Il apparaît également important de favoriser la résilience managériale au sein des supply chains.

Elle implique notamment une plus grande transparence dans l’accès aux informations, une gouvernance plus flexible ainsi qu’une autonomie accrue pour les salariés co-créateurs de nouvelles formes de collaboration comme ce fût le cas pour répondre, par exemple, à la production de respirateurs et de masques pendant leur pénurie.The Conversation

 

Valérie Rabassa, Économiste et enseignante à l'EMLV, Pôle Léonard de Vinci – UGEI et Béatrice Durand-Mégret, Enseignant-chercheur, responsable des filières Marketing Innovation et Distribution, Pôle Léonard de Vinci – UGEI

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