Synthèse du débat organisé dans le cadre du forum mondial Normandie pour la Paix 2019.
Modératrice : Sarah Taylor, Chercheuse senior, International Peace Institute
Intervenantes : Christina Shaheen, Conseillère pour les questions de genre, Bureau de l’Envoyé spécial du Secrétaire général pour la Syrie, ONU ; Catherine Turner, Professeure associée, Durham University ; Jody Williams, Prix Nobel de la Paix 1997

En dépit des nombreuses initiatives lancées ces dernières années, les femmes restent sousreprésentées lors des processus de paix – seulement 2 % des médiateurs des processus supervisés par l’ONU sont des femmes – et certaines d’entre elles sont même assassinées pour leur implication. Pourtant, leur rôle semble essentiel lors des négociations, notamment pour promouvoir les droits des femmes.

Catherine Turner souligne que les processus de paix sont la conjonction des efforts menés à chaque échelon de la société, impliquant aussi bien les diplomates que les autorités politiques, religieuses ou sociales au niveau local. Selon elle, c’est notamment au niveau local que les femmes peuvent mettre en oeuvre leurs qualités de médiatrices et exercer une forme de leadership dans les processus de paix. Christina Shaheen cite à ce propos l’exemple d’une initiative citoyenne née en 2018 de plusieurs groupes de femmes, ayant débouché sur des manifestations pour la paix à Idleb en Syrie et sur une pétition signée par 10 000 femmes qui est parvenue au Conseil de sécurité de l’ONU. Cette initiative a permis d’alerter la communauté internationale sur la gravité de la situation humanitaire concernant les civils confrontés à la recrudescence des combats dans le nord-ouest de la Syrie.

En revanche, aux yeux de Catherine Turner, pour que les femmes puissent jouer un rôle significatif dans les processus de premier plan, il faudrait ajouter de nouvelles dimensions à la notion même de leadership, en ne tenant plus seulement compte des mécanismes de pouvoir mais aussi des aptitudes concrètes à la résolution des conflits.

Jody Williams a fait sien le principe suivant : « Si je ne fais rien pour changer une situation que je considère comme injuste, alors je fais partie du problème. » Elle a gagné la reconnaissance des participants aux processus de paix par sa capacité à pousser ses interlocuteurs à s’interroger sur leur propre comportement, quitte à adopter une attitude provocatrice. Elle ne s’est jamais sentie pénalisée par sa condition de femme, considérant que la reconnaissance s’obtient essentiellement par ses compétences. Sa plus grande réussite reste l’aboutissement de son combat contre l’utilisation des mines antipersonnelles, processus au cours duquel les femmes ont d’ailleurs joué un rôle majeur.

Les femmes sont porteuses d’innovation pour les processus de paix futurs. Elles sont en effet capables de remettre en cause les règles du jeu diplomatique traditionnel, créé par des hommes et fondamentalement fondé sur la notion de pouvoir et de domination militaire. Au-delà de leur image historique de « gardiennes du foyer », les femmes sont en effet plus enclines à embrasser les relations interhumaines à travers d’autres grilles de lecture que les rapports de force et de domination. À ce titre, elles méritent une meilleure représentation au sein des groupes de négociations.

Jody Williams a pris l’exemple du processus contre la prolifération des « robots tueurs », c’est-à-dire des armes robotisées dotées d’une capacité de décision autonome d’engager des cibles. Ces travaux sont coordonnés par une femme, qui s’est insurgée contre le fait que le panel d’experts qui avait été désigné était exclusivement masculin. Elle a exigé que les femmes représentent une part significative de ce panel, arguant que les femmes pouvaient enrichir le débat. Elle a fini par obtenir satisfaction sur ce point. L’idée de l’utilité de la présence des femmes au sein des panels d’experts est d’ailleurs de plus en plus défendue, y compris par les hommes.

Cet exemple illustre une autre problématique : les femmes n’obtiennent pas toujours directement la reconnaissance à laquelle elles peuvent prétendre de par leurs compétences. Elles doivent souvent combattre pour obtenir cette reconnaissance. Jody Williams tempère ce propos en soulignant que « tous les succès passés des femmes sont autant de marches que les femmes d’aujourd’hui peuvent gravir pour s’élever dans la société ».