Ecrit par Duncan McLaren, Professor in Practice, Lancaster University.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.

Planter près d’un milliard d’hectares d’arbres dans le monde constituerait l’« instrument le plus efficace et le plus économique » pour combattre le changement climatique, avance une récente étude parue en juillet dernier dans la revue Science.

Les chercheurs y affirment que la reforestation pourrait capter 205 gigatonnes du carbone présent dans l’atmosphère – soit ce que nos émissions mondiales actuelles produiraient sur vingt ans. Mais les critiques estiment ce résultat exagéré, voire dangereux.

Si l’article en lui-même ne comporte pas de calculs financiers, les chercheurs estiment toutefois que, dans le meilleur des cas, planter des arbres sur 0,9 milliard d’hectares coûterait quelque 300 milliards de dollars. C’est-à-dire 40 centimes américains par tonne de CO2 captée. Mais des études plus détaillées sur le coût de l’élimination du carbone par la reforestation dessinent un scénario plus proche de 20 à 50 dollars américains par tonne ; une telle estimation demeurant peut-être trop optimiste à de telles échelles.

Notre recherche suggère que toutes ces promesses menacent en réalité l’adoption de mesures significatives pour lutter contre le changement climatique. Nous l’expliquons par ce que nous appelons la « dissuasion à limiter les risques » : promettre un retrait facile et économique du CO2 dans le futur réduit les chances que du temps et de l’argent soient investis aujourd’hui dans la réduction des émissions.

Pourquoi les gouvernements ou le secteur financier investiraient-ils dans les énergies renouvelables ou les transports de masse comme le train à grande vitesse – solutions coûteuses à développer – si on explique parallèlement qu’en plantant des arbres pour quelques dollars la tonne on absorberait d’énormes quantités du CO2 présent dans l’atmosphère ?

Comment attendre ensuite des entreprises d’énergie et des compagnies aériennes qu’elles réduisent leurs émissions si tout ce qu’elles émettent peut être compensé en finançant la plantation d’arbres, pour moins de 50 centimes la tonne ?

Si ce genre d’études suggère que le retrait du carbone est économique et facile, le prix d’émission du carbone pour le commerce – dans les marchés de droits à polluer – restera très bas, au lieu d’augmenter aux niveaux nécessaires pour déclencher des mesures adaptées à l’urgence.

Planter des arbres est moins cher mais moins efficace pour réduire des émissions CO₂ que de construire des infrastructures zéro carbone comme le train à grande vitesse. Pedrosala/Shutterstock

Une fausse économie du carbone

Les promesses de technologies efficaces et bon marché permettent d’évacuer les questions épineuses et d’éviter la remise en cause de nos systèmes économique, politique et culturel. Mais ce qui semble possible sur le papier se heurte parfois à la dure réalité. Des attentes suscitées par les promesses de la capture et du stockage du carbone ont ainsi déjà été déçues.

Malgré le potentiel qu’on leur attribuait au début des années 2000, le développement commercial de ces technologies a à peine progressé au cours de la dernière décennie. Ce qui n’empêche pas nombre de modélisations réalisées dans le cadre de la lutte contre le changement climatique de toujours compter sur leur développement à grande échelle dans un avenir proche.

Cette manière d’envisager la réponse au changement climatique va de pair avec un autre outil, qui consiste à donner un prix aux émissions de carbone. Cela autorise potentiellement les entreprises à émettre du CO2 en payant quelqu’un d’autre pour réduire ces émissions ou en retirant ailleurs du CO2 – c’est ce qu’on appelle la compensation climatique. Celle-ci rend d’autant plus douteuses les promesses de l’élimination du carbone.

La plantation d’arbres financée par des marchés compensatoires garantirait que le pollueur puisse continuer d’émettre du carbone, sans garantir que les retraits correspondent à ces émissions. Des arbres pourraient être plantés puis perdus dans l’exploitation forestière ou les feux de forêt, ou tout simplement ne jamais être plantés.

Compter sur les arbres pour capter le carbone à l’avenir se révèle particulièrement risqué car les arbres poussent lentement et déterminer la quantité de carbone qu’ils captent est complexe. Ils seront d’ailleurs de moins en moins susceptibles de le faire à mesure qu’augmentent les températures. Dans de nombreuses régions du monde, et particulièrement dans les régions tropicales, on prévoit que leurs rythmes de croissance diminuent avec le réchauffement et que les incendies dévastateurs s’intensifient.

Par ailleurs, le coût évalué de cette méthode à l’avenir est trompeuse, à cause des effets de l’actualisation économique. Les économistes minimisent d’autant plus la valeur des coûts et des bénéfices qu’elle a lieu tard dans le futur. Les modèles qui déterminent la combinaison de politiques la moins chère sont tous fondés sur une forme ou une autre d’escompte.

En ajoutant à ces modèles des options d’élimination du carbone comme la plantation d’arbres, les chercheurs veulent ralentir l’augmentation de la température, ce qui réduit le rôle de l’action à court terme et la remplace par de éliminations de carbone imaginaires à la fin du siècle. Cela s’explique par le fait que l’anticipation fait apparaître les options de retrait du CO2 incroyablement économiques par rapport aux prix d’aujourd’hui.

Mon objectif n’est ni de m’ériger contre la reforestation ni d’en appeler à une réponse purement technologique pour faire face au changement climatique. Les arbres peuvent constituer une aide précieuse pour de nombreuses raisons – réduire les inondations, apporter ombre et fraîcheur ou encore offrir un habitat à la biodiversité. Si les incitations à la reforestation comme à la captation du carbone sont précieuses, les arbres et la réponse technologique ne devraient pas porter à eux seuls le fardeau de la lutte contre le changement climatique.

Cela exige d’enclencher dès à présent une action politique de réduction d’émissions pour engager la transformation des économies et des sociétés.


Cet article a été traduit de l'anglais par Nolwenn Jaumouillé.The Conversation

Duncan McLaren, Professor in Practice, Lancaster University

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.