Rapport et étude sur la Chine
Seule publication en Europe à s’appuyer exclusivement sur des sources de langue chinoise, China Analysis – Les Nouvelles de Chine, produit par Asia Centre, expose les points de vue de personnalités de la République populaire de Chine, de Hong Kong et de Taiwan sur la politique intérieure et l’économie chinoises, les questions stratégiques en Asie, la vie politique taïwanaise et les affaires internationales. Les auteurs, tous experts du monde chinois dans diverses disciplines, analysent et commentent avec un regard critique ses points de vue pour vous proposer des contenus originaux.

#30 Taiwan et les relations entre les deux rives – Sept/Oct 2010


Ce numéro automnal survient après l’attribution, le 8 octobre, du prix Nobel de la paix au dissident Liu Xiaobo. L’annonce a accentué le durcissement de la politique étrangère chinoise entrevu depuis le début 2010, avec cette fois des sanctions annoncées contre la Norvège, dont le gouvernement n’exerce pourtant pas de contrôle sur le comité Nobel. Aucune voix décalée n’a filtré dans la presse chinoise, qui s’est contentée de répéter à l’envie – surtout dans ses versions en anglais – la position souverainiste dure, décrivant le vote du comité Nobel comme une attaque « blasphématoire » contre le système judiciaire chinois. La personnalité même de Lu Xiaobo est peu attaquée, toutefois ; la presse utilise surtout des déclarations vieilles de plus de vingt ans du dissident, où il évoquait le « besoin d’Occident » de la culture chinoise, pour le discréditer.

C’est d’ailleurs précisément dans un registre juridique que la presse chinoise aborde les droits de l’homme. L’analyse de la portée d’une réforme du code pénal limitant l’emploi de la peine capitale montre que la réflexion autorisée porte surtout sur l’alignement du droit avec la pratique et sur des réformes cosmétiques. En revanche la diminution des chefs de condamnation, en particulier pour crimes et délits économiques, avait été envisagée mais a finalement été rejetée.

Nous consacrons le dossier de ce numéro aux derniers développements dans les relations entre les deux rives du détroit de Taïwan. L’approfondissement rapide des échanges entre Taïwan et la Chine, initié en mai 2008 après le retour au pouvoir du Kuomintang, a connu en juin dernier un temps fort, avec la signature d’un accord-cadre de coopération économique (ECFA), similaire à un accord de libre-échange limité à certaines catégories de produits, et conçu pour avantager l’économie taïwanaise. Or au deuxième semestre 2010, ce processus est entré dans une phase de ralentissement. A deux ans d’échéances politiques majeures – le 18e congrès du Parti communiste et les présidentielles à Taïwan – la prudence est de mise. Quatre questions s’imposent pourtant sur l’agenda des relations entre les deux rives : l’élargissement du nombre de secteurs économiques inclus dans l’ECFA, l’adoption de mesures de confiance sur le plan militaire, la négociation par Taipei d’accords de libre-échange avec ses partenaires commerciaux et sa participation substantielle aux organes techniques des Nations Unies, et la signature d’un accord politique.

Or par stratégie électorale, Ma Ying-jeou ne peut pas prendre le risque d’apparaître trop « unificationniste » aux yeux d’un électorat qui défend le statu quo. Sur l’autre rive, Pékin hésite. Une approche plus libérale sur l’espace international de Taïwan améliorerait l’image de la Chine, mais risquerait, en cas de retour au pouvoir des indépendantistes, de placer Pékin devant des faits accomplis. Il faut donc s’attendre à des négociations à faible valeur politique, se concentrant sur les échanges économiques et commerciaux, pour compléter l’ECFA sans provoquer de grand mouvement d’opinion à Taiwan. La grande inconnue reste la stratégie électorale du Parti démocrate progressiste. La réforme de son programme est incomplète et peu lisible. Tiraillé entre son électorat indépendantiste radical et l’aile modérée qui domine sa direction, son positionnement sur les relations entre les deux rives sera l’une des clefs des présidentielles de 2012.

Ce numéro fait aussi la part belle aux dossiers monétaires et financiers, qui dominent les relations de la Chine avec les pays occidentaux, et qui pourraient lui offrir un nouvel espace de coopération stratégique avec la France et l’Union européenne.

Nous ne mettons pas non plus de côté les affaires socio-économiques intérieures. L’étude récente de Wang Xiaolu sur les « revenus gris » qui représenteraient près de 20% du PIB chinois ne pouvait être passée sous silence tant elle met en avant, malgré ses probables déficiences méthodologiques, des phénomènes économiques et sociaux dont l’impact politique est réel, en particulier parce qu’ils touchent directement au sujet sensible de la hausse du prix de l’immobilier. Enfin, la rubrique décalage est consacrée à la réforme de la sécurité sociale du point de vue du processus de décision politique, avec un article qui met en lumière une compétition entre différentes entités administratives du gouvernement chinois. Celle-ci a pour effet de retarder une réforme attendue depuis longtemps, et conçue pour être un legs crucial du tandem Hu Jintao – Wen Jiabao.

François Godement et Mathieu Duchâtel