Conférence - Bâtir une paix durable
Conférence de clotûre
Forum mondial Normandie pour la Paix 2019
Date: 5 juin 2019

 

  • Présentation de l'Indice Normandie pour la Paix du Parlement européen 

Le Parlement européen publiera pour la première fois en 2019, un indice de la paix, mesurant chaque année le niveau de conflictualité dans le monde. L’indice sera basé sur la stratégie globale pour la politique étrangère et de sécurité de l’Union Européenne adoptée en 2016 et sur les menaces identifiées ; menaces hybrides, le terrorisme, la cyber sécurité, le terrorisme, l'instabilité économique, le changement climatique et l'insécurité énergétique,..). L’indice mesurera l’état de conflictualité dans le monde. Il sera complémentaire avec les autres indices existants.

Cet indice prendra l’appellation « indice Normandie » et sera présenté en exclusivité lors du forum par le Parlement européeen et l’Institute for Economics ans Peace, think tank australien à l’origine du Global Peace Index et reconnu mondialement pour leurs études sur l’état de la paix.

  • Bâtir une paix durable

Une fois les accords signés et les armes déposées, la paix n’est pas garantie et effective pour autant. Les défis environnementaux et leurs conséquences économiques, sécuritaires et sociétales annoncées sont source de fragilité indéniable pour la paix. La feuille de route tracée par l’ONU en 2015 intégrait la paix et la justice aux Objectifs de Développement Durable à atteindre à horizon 2030. Dans cette perspective, quels sont les outils pour assurer une stabilisation des territoires en situation post-conflictuelle et éviter la résurgence des conflits demain ? Les processus de réconciliation et de reconstruction ainsi que les acteurs impliqués intègrent-ils toujours une vision de long terme pour bâtir une paix durable? 

  • Cérémonie de clôture du forum

Discours de clôture par Hervé Morin, Président de la Région Normandie
Annonce du lancement de la Chaire Normandie pour la Paix, en présence du Président du CNRS, Antoine Petit, et du Président de l'Université de Caen, Pierre Denise

 

 

Synthèse de la conférence

Modérateur : Christian Makarian, Journaliste, L’Express
Intervenants : Justine Coulidiati-Kielem, Présidente du Groupe d’action pour la promotion, l’éducation et la formation de la femme et de la jeune fille, coordinatrice régionale de la plateforme des femmes du G5 Sahel, membre de Leaders pour la paix ; Mohamed ElBaradei, Prix Nobel de la Paix, ancien Directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique ; Geneviève Garrigos, ancienne présidente d’Amnesty International ; Jean-Marie Guéhenno, membre du Conseil consultatif de haut niveau sur la médiation de l’ONU, ancien Secrétaire général adjoint du Quai d’Orsay ; Jean-Hervé Lorenzi, Président du Cercle des économistes

Alors que la guerre revêt dorénavant plusieurs facettes, avec des volets militaires économiques, sociaux, ethniques, linguistiques, religieux, géopolitiques et écologiques, les chemins de la paix sont d’autant plus ardus à trouver que le multilatéralisme est en crise et que l’efficacité et la légitimité des institutions dédiées à la paix sont remises en cause.

 

Une remise en question de l’ONU

Quelle est l’efficacité de l’ONU, alors que 90 % des décisions du Conseil de sécurité sont bloquées ? Quelle est la crédibilité de l’ONU et des grandes puissances aux yeux des populations ? interroge Mohamed ElBaradei. Les populations syriennes constatent le blocage quasi-systématique des résolutions de la Cour pénale internationale, comme le souligne Geneviève Garrigos, et Mohamed El Baradei pointe l’incapacité de cette grande institution à les protéger, entraînant des mouvements de fuite migratoire sans précédent. Il rappelle qu’une récente décision du Conseil de sécurité de l’ONU a laissé impuni le massacre de soixante civils soudanais par des militaires sous prétexte qu’il s’agissait d’une « affaire interne ».

Jean-Hervé Lorenzi met en exergue l’absolue nécessité de l’intervention de l’ONU dans de nombreux pays, comme le Sierra Leone, le Libera ou encore le Cambodge. Il reconnaît toutefois que le bilan de l’institution onusienne est plus nuancé en matière de maintien de la paix. Jean-Marie Guéhenno rappelle que 90 % des conflits du XXIème siècle ont éclaté dans des pays qui sortaient de conflits. À ses yeux, le maintien de la paix nécessite, dans ce contexte, une orchestration entre justice, sécurité, développement et légitimité.

Ainsi, si l’ONU continue à être une organisation en avance sur son temps selon Jean-Hervé Lorenzi, son champ et ses modalités d’action ne sont peut-être plus adaptés aux nouveaux enjeux du maintien de la paix.


Premier enjeu : le développement

Pour Jean-Hervé Lorenzi, la route vers la paix n’est ni durable, ni évidente dans un contexte de ralentissement significatif de la croissance et d’augmentation de la dette publique mondiale, alors même qu’il serait nécessaire d’investir pour relever le double défi du changement climatique et de la satisfaction des besoins fondamentaux d’une grande partie des êtres humains.

Aujourd’hui, 800 millions de personnes n’ont pas accès à l’eau potable, un être humain sur neuf souffre de la faim et deux milliards de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté. Alors qu’assurer la transition climatique nécessiterait un investissement estimé à 2 500 milliards de dollars par an et que l’ONU est dotée d’un budget annuel de 8 milliards de dollars, Mohamed ElBaradei rappelle que 1,3 trilliard de dollars sont dépensés chaque jour dans le monde en armement. De fait, le Prix Nobel de la Paix attribue le dysfonctionnement des processus de sécurité et des mécanismes de gouvernance nationaux et internationaux à l’absence de perspective de développement durable. Il en appelle à la mise en oeuvre d’un contrat social national et international permettant de vivre, d’accepter les différences et de respecter la dignité humaine.

 

Deuxième enjeu : restaurer la légitimité nationale et internationale

Pendant longtemps, l’instauration d’un processus démocratique a semblé la condition sine qua non du maintien de la paix. Geneviève Garrigos constate que, dorénavant, les institutions internationales ont compris la nécessité de mettre en oeuvre le triptyque « vérité, justice, réparation » de Louis Joinet, magistrat français, expert indépendant auprès du Comité des droits de l’Homme de l’ONU, comme un préalable à la restauration de la confiance envers l’État.

Dans le même esprit, les populations en appellent à plus de transparence de la part des institutions et souhaitent être davantage associées aux processus de paix et de développement. Justine Coulidiati-Kielem constate que les femmes sont les grandes laissées pour compte des processus de paix, alors qu’elles représentent plus de la moitié de la population. Selon elle, les femmes ont un rôle à jouer en tant que ciment de la cellule familiale et de la société, y compris dans les pays dont l’État a démissionné. Ainsi, pour Justine Coulidiati-Kielem, une voie vers la paix durable est leur mobilisation, car elles sauront défendre les intérêts de la communauté et porter des projets pour la reconstruire.


Troisième enjeu : réinventer le multilatéralisme

Dans un monde de vainqueurs et de vaincus, l’idée dominante est qu’il faut écraser l’autre. Or, les grands changements en marche, de nature climatique, migratoire ou économique, ne pourront être traités par une gestion fragmentaire, mais uniquement par une compréhension fine et globale de leurs tenants et aboutissants, et par une décision négociée entre les pays.

Pourtant, Geneviève Garrigos constate l’émergence, y compris au sein des États démocratiques, d’un autoritarisme croissant assorti d’une volonté de privilégier l’indépendance et les intérêts nationaux à tout prix, y compris celui de négliger la mise en application du droit international.

Dans ce contexte, l’ONU est prise dans une double difficulté : être une organisation d’États tout en ayant la volonté de représenter les peuples, et représenter une communauté internationale qui n’existe pas vraiment, selon Jean-Marie Guéhenno. En outre, il constate que si les États, qui ont leurs priorités propres, ne représentent pas complètement les peuples, certains acteurs sont tout aussi influents, comme les grandes entreprises, les organisations non gouvernementales ou les organisations criminelles. De ce point de vue, Jean-Hervé Lorenzi estime que l’enjeu de la paix est aussi l’enjeu de la liberté, face à des gouvernants et sociétés qui se considèrent propriétaires de l’avenir de l’humanité.

Geneviève Garrigos en appelle à une vision globale, de type « Humanity First », c’est-à-dire l’idée que la défense des intérêts de chacun permet, dans un monde globalisé, de défendre ses intérêts propres. Cette vision pourrait être portée à travers une refonte des textes de l’ONU visant à agir pour un monde plus juste, comme une garantie de paix durable.