Ecrit par Arthur Stein, Doctorant en science politique, Université de Montréal
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Que ce soit en Libye ou en Syrie, les guerres civiles les plus complexes à l’heure actuelle, et conséquemment les plus insolubles, semblent être celles qui ont été progressivement internationalisées.

Dans ces deux cas, et dans nombre d’autres moins médiatisés, ce qui a d’abord débuté comme des conflits localisés, à partir de contestations sociales légitimes face à des inégalités économiques et politiques écrasantes, s’est peu à peu transformé en oppositions multipartites au sein desquelles chaque partie est soutenue à différents degrés par des États étrangers.

Comment comprendre alors ce phénomène historiquement transversal de soutien étatique à des groupes rebelles, qui contredit la définition même de conflit interne ?

Mes recherches en cours à l’Université de Montréal portent sur les dynamiques des guerres civiles. Je m’intéresse particulièrement à cette implication très fréquente d’États étrangers en faveur soit du gouvernement local, soit des organisations insurrectionnelles qui le combattent directement, et aux conséquences que cela peut avoir sur les conflits.

Un phénomène ancien qui renaît

Depuis que des formes d’États existent —, certaines études font remonter le phénomène à la Guerre du Péloponnèse dans l’Antiquité grecque — soutenir des groupes rebelles opérant sur des territoires étrangers a fait partie de l’éventail de politiques étrangères mises en place par nombre de gouvernements.

Que ce soit par le financement, la fourniture d’armes ou de ressources matérielles, la formation de combattants, le refuge offert aux militants ou encore via une assistance diplomatique, apporter un soutien à des groupes engagés militairement contre le gouvernement en place a souvent été perçu comme un moyen peu coûteux pour un État de pouvoir aider un groupe avec qui il partage de caractéristiques identitaires (ethniques ou religieuses notamment) ou de pouvoir influer sur la politique de territoires tiers dans le but d’avancer ses propres intérêts stratégiques.

Le soutien étatique à des groupes rebelles a été particulièrement présent durant la période de décolonisation après la Seconde Guerre mondiale, avec des pays nouvellement indépendants qui sont souvent venus en aide, secrètement ou ouvertement, aux différents mouvements de libération à travers le monde.

Dans ce contexte, la guerre par procuration (« proxy wars » en anglais) a été un élément déterminant de l’opposition entre les États-Unis et l’Union soviétique durant la Guerre froide. Au Nicaragua, en Angola ou encore en Afghanistan, les États-Unis ont par exemple financé et armé clandestinement des organisations insurrectionnelles antimarxistes, dans le but de lutter contre des gouvernements jugés trop favorables à l’Union soviétique.

Loin de disparaître à la fin de la Guerre froide, le soutien étatique à des groupes rebelles a perduré depuis le début des années 1990, devenant un élément central de la politique internationale contemporaine. Alors que les engagements militaires directs à l’étranger ont été fortement délégitimés par les fiascos militaires qu’ont été les guerres en Afghanistan et en Irak, la perspective de pouvoir influer sur l’espace territorial d’un autre État sans engager directement ses propres forces est devenue de plus en plus attrayante, tant pour des États reconnus comme démocratiques que pour des régimes autocratiques.

En plus de la Syrie ou de la Libye, l’Ukraine est un autre cas emblématique et contemporain de soutien étatique à des organisations insurrectionnelles, alors que les groupes séparatistes du Donbass sont soutenus par la Russie voisine.

D’autres exemples contemporains sont bien moins médiatisés. Le Rwanda a par exemple été accusé de soutenir clandestinement des groupes rebelles en République Démocratique du Congo au début des années 2010. Durant la même période, il a été reporté que des organisations insurrectionnelles opérant au Soudan ont de la même manière été financées et armées par des pays voisins, tels que le Soudan du Sud et l’Ouganda.

Des conséquences tangibles sur les dynamiques de conflits

Alors que soutenir matériellement des groupes rebelles sur un territoire étranger semble être un choix de politique étrangère peu coûteux, donc attrayant pour de nombreux États, de nombreuses études ont mis en lumière les risques inhérents à ce phénomène.

Du point de vue des États premièrement, soutenir des organisations insurrectionnelles est hasardeux, dans la mesure où les objectifs politiques de ces groupes armés sont souvent bien différents de ceux de leurs soutiens. Dans de nombreux cas, la concordance d’intérêts entre les deux acteurs à court terme débouche sur une incompatibilité d’objectifs à moyen et long terme, et les ressources matérielles fournies par les États sont détournées par les organisations armées.

Deuxièmement, et de manière bien plus sensible, les groupes rebelles soutenus matériellement par des États étrangers sont souvent bien plus susceptibles de viser violemment et délibérément les populations civiles lors de conflits internes. En effet, assurés de recevoir un soutien extérieur et continu, il a été mis en lumière que ces organisations ont beaucoup moins d’incitatifs à coopérer avec les populations non combattantes, et peuvent parfois êtres tentés d’user d’une violence instrumentale comme moyen d’assurer la collaboration de ces dernières.

Rien que depuis le début de l’année 2020, les civils syriens ont été victimes d’au moins 414 événements de violence délibérée de la part d’une des parties au conflit, tandis qu’il a été recensé 440 ciblages directs des populations non combattantes au cours de la guerre en Libye sur la même période.

En plus d’être plus susceptibles de connaître de hauts degrés de ciblage des populations civiles, les conflits internes impliquant des États étrangers comme soutiens à l’une des parties sont en moyenne plus longs, sont moins susceptibles d’être résolus de façon négociée et ont ultimement plus de chance de recommencer après un cessez-le-feu entre les parties. Les guerres civiles internationalisées sont ainsi indéniablement plus violentes et plus complexes à résoudre que celles qui ne le sont pas.

Des questions éthiques permanentes

Le soutien étatique à des organisations insurrectionnelles semble voué à croître à la faveur des nombreux développements récents au sein de la politique internationale. Il est donc nécessaire de se questionner sur l’éthique de ce modus operandi aux potentielles conséquences humanitaires néfastes.

D’un côté, de la même manière qu’il existe très certainement des « guerres justes », la philosophie politique s’intéresse de plus en plus à l’idée de « rébellions justes », aux aspirations politiques et sociales légitimes, qu’il serait alors éthique de soutenir pour des États étrangers. D’un autre côté, comme on l’a vu, le soutien à des groupes insurrectionnels sur des territoires étrangers n’est pas sans conséquence sur les dynamiques de conflits, et accroît particulièrement le poids des luttes armées sur les populations non combattantes.

Dès lors, il est aujourd’hui difficile d’adopter une position normative définitive et unilatérale sur ce sujet complexe. Le phénomène recouvre des réalités indéniablement variées selon les époques et les contextes nationaux, et chaque conflit individuel doit être analysé en soi et pour soi. La politique internationale se prête peu aux considérations morales manichéennes.


Arthur Stein, Doctorant en science politique, Université de Montréal

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.