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Rédigé par Anne Lene Stein, PhD candidate in political science, Lund University
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.

Israël-Hamas : le mouvement pour la paix a-t-il été assassiné le 7 octobre ?

Anne Lene Stein, Lund University

En Israël, le mouvement pacifiste et l’activisme anti-occupation, déjà en recul avant les attaques terroristes commises par le Hamas le 7 octobre, risque désormais de disparaître totalement.

Bon nombre des personnes assassinées le 7 octobre étaient des habitants de kibboutz, des collectifs résidentiels du sud d’Israël, dont les membres ont traditionnellement tendance à soutenir les initiatives de paix et les droits des Palestiniens, et à s’opposer à la colonisation ; certaines d’entre elles étaient des activistes et travailleurs communautaires très connus. L’une des personnes disparues est la militante israélo-canadienne Vivian Silver, 74 ans, qui fut en 2014 l’une des fondatrices du mouvement pacifiste israélien Women Wage Peace.

Après le 7 octobre, Dorit Rabinyan, membre du conseil d’administration de plusieurs organisations de gauche opposées à l’occupation israélienne de la Cisjordanie, a déclaré au New York Times :

« Je sais que ce n’est pas noble de ma part, je sais qu’il y a de la souffrance de l’autre côté, mais l’autre côté a pris des otages et a massacré si violemment, avec un tel entrain, que ma compassion est en quelque sorte paralysée. »

Même la gauche israélienne réclame désormais des représailles militaires. L’attaque du 7 octobre n’a pas seulement ébranlé le mouvement pacifiste ; elle a également suscité des interrogations sur son avenir.

Un espoir en berne

Je viens de rentrer d’Israël et de Palestine, où j’ai effectué des recherches pendant dix ans sur l’activisme pour la paix dans la région. En Israël, j’ai assisté à de nombreuses manifestations israélo-palestiniennes conjointes visant à dénoncer l’occupation de la Cisjordanie. J’ai également assisté à des événements israélo-palestiniens communs, tels que la cérémonie commémorative annuelle en l’honneur des victimes aussi bien israéliennes que palestiniennes du conflit.

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Dans le cadre de mon récent travail de terrain, j’ai eu de longs échanges avec de nombreux militants palestiniens et israéliens pour la paix et contre l’occupation. Une chose m’a frappée : alors que ces gens espèrent la paix et y travaillent, ils ne prononcent que très rarement le mot « paix » lui-même.

 

Comme le dit Yael (le prénom a été changé), une activiste israélienne :

« Les Israéliens ne savent plus imaginer la paix parce que les gens ici ne savent plus imaginer une autre réalité que celle existante. »

Noam (le prénom a été changé), un Israélien qui milite contre la colonisation, m’a dit la même chose lors d’une manifestation hebdomadaire contre l’expulsion de Palestiniens dans le quartier palestinien de Cheikh Jarrah, à Jérusalem-Est :

« Je crois que les gens parlent plus de la fin de l’occupation que de la paix. »

Miriam (le prénom a été changé), une militante palestinienne d’une trentaine d’années, explique pourquoi il est devenu plus difficile pour les jeunes de parler de paix :

« Le niveau de haine est si élevé parce que la jeune génération n’a pas vu ce que notre génération a vu. Nous avons vécu la première et la deuxième Intifadas, et même à cette époque, nous avions un espoir. Cette génération n’a pas un tel espoir, que ce soit côté palestinien ou côté israélien. »

Des chercheurs ont montré qu’il n’y a plus eu de mouvement de paix aux contours clairs en Israël depuis de nombreuses années, certains affirmant que ce mouvement avait quasiment disparu après la deuxième Intifada (2000-2005).

Certains militants décrivent les années qui ont suivi cette période comme marquées par le désespoir et une profonde désillusion à l’égard des propositions des accords d’Oslo (1993-1995), une tentative de règlement négocié entre le gouvernement israélien et l’Organisation de libération de la Palestine, qui devait aboutir à la reconnaissance d’Israël par les Palestiniens et à l’exercice d’un pouvoir autonome palestinien sur la Cisjordanie et la bande de Gaza).

Malgré tout, il existe encore des organisations qui œuvrent en faveur de la paix, comme le groupe palestino-israélien Combatants for Peace et le collectif d’activistes israéliens Free Jerusalem. Ils sont toutefois de petite taille et ne disposent que de maigres ressources.

La colère contre les activistes

Les actions des différents gouvernements israéliens qui se sont succédé au cours des quinze dernières années ont joué un rôle central dans le rétrécissement de l’espace dévolu à la société civile, aux organisations de défense des droits de l’homme, aux militants anti-occupation et aux mouvements pour la paix. En 2016, la Knesset, le parlement israélien, a adopté une loi obligeant les ONG qui recevaient plus de 50 % de leur financement de la part d’organisations étrangères à rendre compte publiquement de l’origine de leurs subventions. Des campagnes massives ont également été menées pour détériorer l’image des militants auprès de l’opinion publique israélienne.

La façon dont certaines organisations militant pour la paix ont été qualifiées de « traîtres », de « collaborateurs des terroristes » ou d’« agents étrangers » par des responsables politiques et des groupes de réflexion de droite en est un exemple. Par exemple, en 2015, le mouvement de droite israélien Im Tirtzu (« Si vous le voulez ») a accusé les ONG israéliennes de défense des droits de l’homme d’être des « agents étrangers » et de saboter activement les efforts israéliens en matière de lutte contre le terrorisme. L’espace réservé aux défenseurs des droits des Palestiniens, et spécialement à ceux qui appellent à la fin de l’occupation de la Cisjordanie, s’est donc progressivement réduit.

Aujourd’hui, malgré la douleur, le chagrin et l’incrédulité engendrées par les atrocités du 7 octobre, certaines organisations israéliennes, et certains citoyens à titre individuel, s’élèvent contre l’opération militaire en cours à Gaza, soulignant que tous les habitants de Gaza ne sont pas coupables ou ne soutiennent pas les attentats.

B’tselem, une organisation israélienne de défense des droits de l’homme, a tweeté le 13 octobre : « Non : Un million de personnes dans le nord de Gaza ne sont pas coupables. Elles n’ont nulle part où aller. Ce n’est pas à cela que ressemble la lutte contre le Hamas. C’est de la vengeance. Et des innocents souffrent. »

 

Noy Katsman, un militant israélien pour la paix et contre l’occupation, dont le frère Hayim, qui partageait ses convictions, a été tué par le Hamas le 7 octobre, a déclaré dans une interview à CNN :

« La chose la plus importante pour moi et pour mon frère est que sa mort ne soit pas utilisée pour justifier le meurtre de personnes innocentes. »

Noy lui-même, et beaucoup d’autres militants, sont désormais pris pour cible dans leur propre communauté parce qu’ils refusent de considérer l’autre camp comme l’ennemi.

Résister à l’attrait de la vengeance

Lors d’un webinaire organisé le 20 octobre par l’ONG israélo-palestinienne Combatants for Peace, des militants palestiniens et israéliens se sont réunis pour réaffirmer leur attachement commun à la paix, à la justice et à la non-violence dans un contexte de guerre. Comme l’a dit la militante palestinienne Mai Shahin :

« Ce système violent ne cesse d’essayer de nous faire croire qu’il est la seule voie possible. S’il est si difficile aujourd’hui aux Palestiniens et aux Israéliens de continuer de discuter, c’est parce que, ce faisant, nous nous attaquons à ce système, qui finira par se briser si nous nous retrouvons, nous associons et agissons ensemble. »

Même si le désespoir et les appels à la vengeance prédominent aujourd’hui, il existe toujours des personnes et des organisations engagées qui s’élèvent contre la politique sécuritaire conduite par Israël et contre les bombardements de civils à Gaza. Comme l’a récemment écrit l’activiste israélienne Orly Noy :

« La vengeance est le contraire de la sécurité, le contraire de la paix et le contraire de la justice. Ce n’est rien d’autre que plus de violence. »

Anne Lene Stein, PhD candidate in political science, Lund University

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.