Official photo of the NATO Secretary General and Heads of State and Government, 11 JULY 2023 ©NATO
Rédigé par Maxime Lefebvre, professeur affilié à l'ESCP Business School
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.

L’OTAN et l’Ukraine : où va-t-on après le sommet de Vilnius ?

Maxime Lefebvre, ESCP Business School

L’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, réclamée par Kiev depuis des années et plus encore depuis l’attaque russe du 22 février 2022, n’avait pas été en débat lors des deux premiers sommets de l’OTAN qui se sont tenus après le déclenchement de la guerre (celui de Bruxelles, convoqué en urgence en mars 2022, et celui de Madrid, en juin).

À l’époque, c’était le soutien immédiat à l’Ukraine qui était en jeu, plutôt que la réflexion sur des garanties de sécurité à plus long terme. Le sommet de Madrid avait toutefois permis d’enclencher l’adhésion de la Finlande, devenue effective en avril 2023, et celle de la Suède, qui a obtenu lors du sommet de Vilnius (11-12 juillet dernier) la promesse par la Turquie de ratifier son traité d’adhésion.

Dans la capitale lituanienne, l’Ukraine espérait se voir fixer un horizon d’adhésion concret ; mais cela n’a pas été le cas.

Les résultats du sommet de Vilnius

L’adhésion de l’Ukraine – et aussi de la Géorgie – à l’OTAN est sortie du principe ambigu de la « porte ouverte » pour devenir une perspective réelle au sommet de Bucarest en avril 2008. Malgré l’opposition de la France et de l’Allemagne, à l’époque, à l’octroi d’un « plan d’action pour l’adhésion » souhaité par l’administration Bush, le sommet de Bucarest avait clairement affirmé :

« L’OTAN se félicite des aspirations euro-atlantiques de l’Ukraine et de la Géorgie, qui souhaitent adhérer à l’Alliance. Aujourd’hui, nous avons décidé que ces pays deviendraient membres de l’OTAN. »

Quelques mois plus tard, la guerre russo-géorgienne donnait à la Russie l’occasion de faire la démonstration de sa domination stratégique dans la région.

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Le dossier de l’adhésion de ces candidats à l’OTAN n’a pas substantiellement évolué après 2008. La coopération de l’Alliance avec eux s’est renforcée. La promesse d’adhésion a été renouvelée. Mais aucune étape concrète vers l’adhésion n’a été franchie.

La Géorgie s’est montrée moins pressante après le départ du président Saakachvili en 2013. L’Ukraine, de son côté, confrontée depuis 2014 à la politique de force de Moscou (annexion de la Crimée, perte d’une partie du Donbass), a fait inscrire dans sa Constitution en 2019 (juste avant l’élection de Volodymyr Zelensky) l’objectif de rejoindre l’UE et l’OTAN – et cela, alors que l’adhésion à l’OTAN était auparavant un objectif controversé en Ukraine, contrairement à l’adhésion à l’UE, souhaitée par près des deux tiers des citoyens.

La guerre déclenchée par la Russie en février 2022 n’a fait que renforcer le souhait de l’Ukraine d’être protégée à l’avenir par l’Alliance atlantique. Cependant, malgré le soutien traditionnel à sa candidature d’une partie des Alliés (spécialement le Royaume-Uni et les pays d’Europe orientale), les États-Unis ont donné le « la » en adoptant en amont du sommet de Vilnius une position très retenue, Joe Biden déclarant d’emblée que l’Ukraine « n’est pas prête ».

Le couple franco-allemand n’a pas existé dans ce débat : l’Allemagne a suivi la position américaine de prudence, tandis que la France, dans la lignée du discours du président de la République à Bratislava (31 mai), a poursuivi son offensive de charme auprès des pays d’Europe orientale en adoptant une position favorable à l’adhésion. Sans doute la prudence de nombreux pays s’explique-t-elle aussi par le fait qu’un traité d’adhésion devra être ratifié par chaque État membre, ce qui – comme l’a montré le cas de la Turquie avec la Suède – n’a rien d’automatique.

Le résultat du sommet, qui a déçu les Ukrainiens, reflète avant tout la position américaine. Si la perspective d’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN est bien réaffirmée (« l’avenir de l’Ukraine est dans l’OTAN »), aucun processus d’adhésion concret n’est lancé. Il est seulement précisé que l’Ukraine sera dispensée, contrairement à la Géorgie, de « plan d’action pour l’adhésion ».

À la demande de Kiev, l’OTAN répond sèchement que l’Ukraine sera invitée « lorsque les Alliés l’auront décidé et quand les conditions seront réunies » (sans préciser davantage les conditions). Autrement dit, le choix et le moment de faire entrer l’Ukraine dans l’OTAN seront décidés par l’Alliance seule. En compensation, il a été décidé de renforcer davantage les relations entre l’OTAN et l’Ukraine, notamment en créant un Conseil OTAN-Ukraine.

La peur d’un affrontement nucléaire

Cette rebuffade doit être interprétée à deux niveaux : du point de vue de l’implication de l’OTAN dans le conflit et du point de vue de la solution qu’elle peut apporter à son règlement.

Rappelons d’abord cette évidence : l’OTAN n’est pas partie à la guerre. Celle-ci oppose la Russie à l’Ukraine, et pas la Russie aux Occidentaux. Si certains pays, telle la Biélorussie qui a laissé passer des troupes russes par son territoire, peuvent être regardés comme cobelligérants, les livraisons d’armes à l’Ukraine ne relèvent pas de la cobelligérance. Et les Occidentaux font preuve d’une grande prudence s’agissant des armements offensifs (chars, missiles, avions) susceptibles de frapper directement la Russie.

Malgré une coordination légère dans le cadre de l’OTAN (« groupe de Ramstein »), les livraisons d’armes contournent plutôt l’OTAN en empruntant soit la voie bilatérale, soit la voie de l’UE (avec le financement par la « Facilité européenne pour la paix »), soit la coordination dans le G7 (l’engagement à soutenir l’Ukraine dans la durée et contre une future nouvelle attaque russe a été pris à Vilnius dans un format G7 et non dans le format OTAN).

La raison de cet effacement relatif de l’OTAN est simple : tout affrontement direct entre les Occidentaux et la Russie, entre l’OTAN et la Russie, entre les États-Unis et la Russie, serait susceptible de dégénérer en un conflit nucléaire. Les Russes ont passé plusieurs fois le message public qu’ils ne craignaient pas l’escalade nucléaire et on peut penser qu’ils envoient des messages similaires dans leur dialogue avec leurs interlocuteurs américains. La mission principale de l’OTAN est une mission de défense collective de ses membres, ce qui fut d’ailleurs un aspect majeur de la rencontre de Vilnius.

 

L’Ukraine pourrait-elle bénéficier un jour de cette garantie de sécurité ultime octroyée par l’OTAN à ses membres ? La question a suscité un vrai débat en amont du sommet de Vilnius.

La difficulté est d’appliquer la garantie de l’article 5 (la clause de défense collective) à un État qui ne contrôle pas l’intégralité de son territoire. Aucun État membre de l’OTAN n’est dans cette situation (Chypre étant dans l’UE mais pas dans l’OTAN). Il faudrait au minimum adopter une interprétation selon laquelle la garantie de l’article 5 s’appliquerait seulement au territoire contrôlé par l’Ukraine, dans une optique défensive, et non au territoire ukrainien contrôlé par la Russie, pour éviter que l’OTAN soit entraînée contre son gré dans une opération de reconquête.

Les « modèles » israélien et sud-coréen

D’autres options ont été avancées. Par exemple, le modèle de la Corée du Sud, qui est liée depuis 1953 par un traité de défense mutuelle aux États-Unis, lesquels y stationnent des troupes, alors même que la péninsule de Corée est restée divisée et sans accord de paix. Ou bien celui d’Israël, dont la sécurité est soutenue par les États-Unis à travers de multiples accords de coopération de défense.

Aujourd’hui, les « garanties de sécurité » proposées à Kiev par les Occidentaux (comme dans la déclaration du G7 à Vilnius) restent en deçà de ces exemples. Elles ne prévoient pas le déploiement de troupes alliées sur le territoire ukrainien. Elles ne prévoient pas, non plus, de clause d’assistance militaire contre une agression. Et si elles prévoient un engagement à soutenir la sécurité de l’Ukraine massivement et sur la durée, comme les États-Unis le font avec Israël, l’Ukraine est dans une position très différente : elle ne dispose pas de l’arme nucléaire et ne jouit pas avec sa seule armée, même équipée par les Occidentaux, d’une supériorité stratégique sur son voisin russe.

Un dernier élément doit entrer en considération. La Russie a toujours été opposée à l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN. Envisager cette adhésion comme issue de la guerre n’est pas forcément de nature à la raccourcir ; cela pourrait au contraire inciter Moscou à la poursuivre pour empêcher cette issue.

Une adhésion de l’Ukraine à l’OTAN supposerait que de nombreuses conditions soient réunies : que l’Ukraine reconquière une partie suffisante de son territoire pour estimer qu’elle peut accepter de geler les fronts par un cessez-le-feu ; que la clause d’assistance de l’article 5 soit limitée au territoire contrôlé par l’Ukraine (ce qui équivaudrait à une renonciation au moins temporaire de la part de l’Ukraine à la partie de son territoire internationalement reconnu qu’elle ne contrôle pas, par exemple la Crimée ou une partie du Donbass) ; et que la Russie se considère suffisamment vaincue pour accepter un cessez-le-feu à des conditions très défavorables (une réduction de son emprise en territoire ukrainien, l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN avec logiquement un déploiement de troupes alliées à la clé), ce qui passerait sans doute par un changement de pouvoir à Moscou. Mais, parce que la Russie est une puissance nucléaire, c’est une donnée stratégique fondamentale de ce conflit que l’OTAN ne peut se laisser entraîner dans une guerre avec la Russie et qu’il y a des limites à la défaite que l’Ukraine peut infliger à la Russie.

On comprend mieux pourquoi les stratèges à Washington ont préféré se laisser toutes les portes ouvertes sur l’issue du conflit, ce que permet la formule de Vilnius.The Conversation

Maxime Lefebvre, Affiliate professor, ESCP Business School

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.