Article écrit par : Alexandre Lavissière, Professeur de Logistique, CESIT - Centre d'Excellence Supply Chain - KEDGE, Kedge Business School, Mary C. Lavissière, Professeur associé, Université de Nantes et Romain Sohier, Enseignant-chercheur en Marketing - Laboratoire Métis, EM Normandie

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.

L’Arctique doit-il vraiment être la nouvelle autoroute de la mer ?

La fonte des glaciers a permis d’accélérer le développement de certaines activités. Pixabay, CC BY-SA

Alexandre Lavissière, Kedge Business School; Mary C. Lavissière, Université de Nantes et Romain Sohier, EM Normandie

Le réchauffement climatique occasionne une fonte progressive des glaces aux pôles. Ce dérèglement engendre également en été, des périodes de fonte saisonnière de plus en plus importantes qui découvrent l’océan de ses glaces.

Ainsi pendant près de quatre mois par an des navires, parfois escortés de brise-glace peuvent se croiser sur les mers de l’Arctique. Aujourd’hui ce flux reste bien marginal comparé aux trafics enregistrés sur les passages clés des grandes routes maritimes, notamment au détroit de Malacca entre la Malaisie et l’Indonésie, au canal de Suez situé en Égypte ou encore au canal de Panama.

Développement de nouvelles activités

La fonte des glaces permet surtout à la Russie de développer une exploitation plus aisée de ses ressources énergétiques. On pense notamment aux réserves de pétrole et de gaz des péninsules de Yamal et Gydan.

C’est ainsi que le terminal de Montoir de Bretagne, au port de Nantes-Saint-Nazaire a reçu en 2018 son premier chargement de gaz naturel liquéfié (GNL) en provenance de l’usine Yamal LNG.

La Russie entraîne d’ailleurs ses voisins dans le développement d’infrastructures logistiques et de transport dans la région avec la création de zones franches portuaires, de voies de chemin de fer, de pipelines et de ports secs qui relient notamment Mourmansk en Russie et Kirkenes en Norvège à la Finlande.

L’autre industrie qui profite de la navigation dans les pôles est la croisière de luxe. Si les grands croisiéristes sont taxés de polluer ou de dénaturer les sites qu’ils abordent, une croisière plus intimiste dont l’icône est le français Ponant propose des croisières durables dans des eaux plus septentrionales.

 

De leur côté, les opérateurs de lignes régulières conteneurisées testent chaque année la faisabilité de ce qu’on appelle la route maritime nord. Certes, cette route qui passe au nord de la Sibérie pour relier l’Asie à l’Europe est bien plus courte que les routes traditionnelles, mais elle comporte des risques liés au climat et aux investissements importants en matière de coque des navires.

Le danois Maersk et le chinois Cosco envoient donc régulièrement leurs navires pratiquer cette route pour tester sa rentabilité. À l’inverse, le français CMA-CGM a déclaré, par l’intermédiaire de son patron Rodolphe Saadé, qu’il n’envisageait pas d’emprunter cette route dont l’utilisation constitue une menace pour le climat.

Des gains difficiles à mesurer

La question des routes maritimes arctiques est complexe, car elle repose sur de nombreuses inconnues. De plus, le gain n’est clair ni sur l’aspect économique ni sur l’aspect environnemental. En effet, la rentabilité économique de cette route – en supposant qu’elle adviendra si les glaces continuent à fondre – n’est pas assurée pour l’heure. En outre, le risque de devoir louer un brise-glace nucléaire russe pour éviter d’avoir un navire coincé dans les glaces est une perspective très onéreuse.

Le brise-glace nucléaire russe, Yamal, est un navire conçu pour ouvrir des voies maritimes gelées grâce au renforcement sa proue. Wikimedia, CC BY-SA

Pour autant, les armateurs de la zone expliquent qu’en raccourcissant les routes pratiquées, il est possible de faire des économies de carburant et donc de réduire la pollution. Mais quel effet rebond peut-on estimer ?

Si un navire peut faire plus d’aller-retours entre Asie et Europe l’été grâce à la route maritime nord, il émettra au moins autant de gaz à effet de serre que s’il était passé par la route de Suez, si ce n’est qu’il aura peut-être fait plus de profits. En outre, la pollution à proximité du cercle arctique pourrait avoir un impact plus important qu’à des latitudes plus méridionales.

La recherche sur la navigation en Arctique voit une production croissante d’articles académiques qui traitent des principaux enjeux que sont la gouvernance, la géopolitique des flux, le tourisme, les contraintes opérationnelles et les opportunités commerciales. Près de 400 articles académiques ont été produits ces dernières décennies sur le sujet et parmi les nations qui comportent le plus d’experts du sujet figure la France avec le Canada et la Norvège.

Auteurs.

Pour autant, il reste de nombreux champs à explorer tant la recherche se concentre sur la profitabilité des routes arctiques et sur les aspects légaux et géopolitiques.

L’Arctique intéresse les chercheurs

Notre étude récemment publiée dans Transportation Research Part A : Policy and Practice, montre qu’il existe un besoin pour la recherche sur de nouveaux modèles économiques plus durables en Arctique et plus généralement sur les managements, la stratégie et le marketing B2B dans ce domaine.

De telles approches permettent d’envisager et de construire des modèles enchâssés dans l’environnement local pour permettre son développement. À la manière des croisières durables proposées par certaines compagnies qui promeuvent et accompagnent les populations locales.

La France en plus de ses compétences scientifiques de pointe sur les enjeux du transport en Arctique, possède un siège permanent d’observateur au Conseil de l’Arctique. Grande puissance maritime qui parfois s’ignore, la France, forte du deuxième domaine maritime mondial, de ses armateurs de rang mondial et de ses chercheurs, vient de se doter à nouveau d’un ministère de la Mer.

C’est peut-être l’opportunité de construire une stratégie française de l’Arctique, avec l’appui d’une nouvelle ambassade des pôles qui pourra porter une voix pertinente, durable et influente.


Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 23 et 24 septembre 2022 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du Forum mondial Normandie pour la Paix.The Conversation

Alexandre Lavissière, Professeur de Logistique, CESIT - Centre d'Excellence Supply Chain - KEDGE, Kedge Business School; Mary C. Lavissière, Associate professor, Université de Nantes et Romain Sohier, Enseignant-chercheur en Marketing - Laboratoire Métis, EM Normandie

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.