Synthèse du débat organisé dans le cadre du Forum Mondial Normandie pour la Paix 2019.
Modératrice : Françoise Mélonio, Professeure émérite Sorbonne Université
Intervenants : Olivier Sidokpohou, Inspecteur général de mathématiques et assesseur de la doyenne de l’Inspection générale ; Bénédicte de Saint-Pierre, Vice-présidente United Way L’Alliance ; Florent Bonaventure, Directeur des études et de la communication de Campus France

Jules Michelet, le grand penseur de la tradition républicaine française, écrivait en 1846 : « Si l’éducation travaillait à réunir les hommes autant qu’elle s’attache à les diviser, si seulement les deux enfants, le pauvre et le riche, avaient été assis aux bancs d’une même école, si liés d’amitié, divisés de carrière, ils se voyaient souvent, ils feraient plus entre eux que toutes les politiques, toutes les morales du monde. Ils conserveraient dans leur amitié désintéressée, innocente, le noeud sacré de la cité... »

Les médias évoquent aujourd’hui régulièrement la violence scolaire et les inégalités entre les établissements. Les initiatives se multiplient pour parvenir à une véritable justice scolaire et pour renforcer la qualité de l’enseignement, deux dimensions inséparables pour faire de l’éducation, dans ses multiples formes, un facteur qui renforce le vivre ensemble et contribue à la bonne marche de la société, mais également à la solidité des rapports entre les nations.

En France, l’Éducation nationale est souvent durement jugée, considérée comme une « machine à trier » les élèves, les origines géographiques et sociales jouant grandement dans la réussite individuelle. Pour autant, conduire un enfant dont les parents ne parlent pas français ou qui n’ont pas fait d’études jusqu’au baccalauréat, voire au-delà, constitue déjà un formidable succès biographique, qui ne doit pas être nié par comparaison avec d’autres élèves issus de milieux plus favorisés.

Le savoir n’épargne pas de la brutalité, il ne suffit pas en lui-même. Il doit être accompagné et incarné, en particulier par les enseignants. L’impossibilité d’exprimer ses ressentis, qui a souvent pour conséquence que les propos de l’Autre sont perçus comme une agression, est l’une des principales sources de violence en milieu scolaire. Or, exprimer une pensée, un sentiment, mais également un désaccord, peut s’apprendre. Olivier Sidokpohou rappelle que l’Éducation nationale a l’ambition de renforcer cet apprentissage, notamment au travers de la mise en place du grand oral du baccalauréat. Le savoir constitue alors un point d’ancrage, autour duquel s’instaure un dialogue, et qui permet, par la mise à distance, d’approcher les sujets polémiques en dehors du conflit.

Les inégalités femmes-hommes et les préjugés sont également source de violence. L’orientation scolaire, notamment des jeunes filles, repose sur des a priori sociaux profonds. La mixité, paradoxalement, accentue les stéréotypes, les jeunes garçons tâchant de se déterminer dans la différence avec les filles, et inversement. Un travail de longue haleine doit être réalisé en amont afin de montrer qu’aucune discipline n’est spécifiquement masculine ou féminine.

Pour permettre la connaissance de l’Autre et dépasser les stéréotypes, l’éducation doit commencer par favoriser la connaissance de soi. Il s’agit d’aider les jeunes à comprendre leurs propres désirs et leur identité, mais également de les ouvrir vers de nouveaux horizons (des métiers, mais également des cultures, des savoirs et des environnements sociaux différents des leurs). Toutefois, rien de cela n’est possible sans confiance en soi. Par conséquent, il est essentiel de s’efforcer de placer les jeunes, aussi bien dans le cadre scolaire que périscolaire, en situation de succès, et non d’échec. L’ouverture à l’Autre doit leur permettre de découvrir ce qu’ils ont envie de devenir, et par là de s’inscrire dans un parcours leur offrant la possibilité « de construire leur confiance en eux ». 

Pour autant, cette confiance en soi ne saurait se construire sans la confiance de l’enseignant envers ses élèves. Son absence peut être dévastatrice, selon Olivier Sidokpohou, mais elle peut également être perçue différemment par les élèves et le pédagogue : ce qui passe pour de l’exigence pour le second peut être ressenti par un jeune comme une manière de le renvoyer à son échec. Il revient alors aux enseignants de rendre visible cette confiance dans leurs actes pédagogiques quotidiens, et de montrer qu’elle n’est en rien contradictoire avec l’exigence.

Par ailleurs, l’école constitue également un lieu d’échanges internationaux. Chaque année, 245 000 étudiants étrangers franchissent une frontière pour venir étudier en France. 42 % des doctorants sont des étudiants étrangers, qui contribuent à l’attractivité scientifique des universités françaises. Une compétition existe entre les pays au niveau international pour attirer ces jeunes talents, car ils constituent pour le territoire un apport de devises et de main-d’oeuvre qualifiée. Florent Bonaventure constate que la venue de ces étudiants enrichit le pays d’accueil comme le pays d’origine, en permettant la découverte d’une autre vision du monde et la meilleure compréhension de l’Autre. Toutefois, si ces échanges restent facteurs d’ouverture, l’expérience du décentrement peut être psychologiquement difficile, et provoquer un repli sur soi ou sur son identité.

Enfin, l’éducation aux valeurs universelles et aux comportements sociaux doit constituer un contenu concret des cursus scolaires dans le cadre d’une formation à la citoyenneté. En 1999, une résolution de l’ONU a donné une définition précise de la culture de la nonviolence et de la paix, et les huit domaines d’action pour promouvoir cette culture ont été adoptés à l’unanimité par les 193 États qui participent aux Nations unies. Le premier de ces domaines est l’éducation pour tous.

Ainsi, pour véritablement constituer un facteur de paix, l’éducation doit laisser la place à la fois à l’expression de l’identité personnelle, à l’échange, et à l’enseignement des valeurs universelles.